Tiago Guedes, le directeur de la Biennale de la danse de Lyon, a eu l’excellente idée de proposer à François Chaignaud et Théo Mercier de retourner au garage. C’est beau, c’est torride, c’est triste. C’est un chef-d’œuvre.
En 2016, on découvrait ce trio étrange composé d’une claveciniste, Marie-Pierre Brébant, d’un motard, Cyril Bourny, et d’une créature mi-drag mi-faune, François Chaignaud. Avant #metoo, la pièce avait des allures de parade érotique. Aujourd’hui, l’intention et la réalisation se sont décalées vers une mélancolie autre. Cette version compte un ajout de scène sorti d’un Tarantino. Il y a deux garagistes plus sexys tu meurs, et elle qui lit sur une chaise, les talons de 15 déjà aux pieds, un foulard à l’italienne, des lunettes noires. Iel va aller et venir, ausculter les voitures qui sont garées. Et tout ce petit monde, dehors, sous la pluie fine, se met à chanter des airs baroques. Depuis une dizaine d’années, François Chaignaud chante de plus en plus et de mieux en mieux. Il est l’un des précurseurs dans ce mouvement, devenu évident aujourd’hui, selon lequel la voix est un muscle et, donc, que la voix danse. Pour le moment, on adore l’image, très forte, de ce trio mécano-glam.
Marie-Pierre Brébant, qui depuis a accompagné Chaignaud sur d’autres projets (Symphonia Harmoniae Caelestium Revelationum en 2019), est située dans l’espace de l’un des entrepôts des anciennes usines Fagor qui sont, pour la dernière année, le centre névralgique de la biennale. Son beau clavecin est paré de dessins, elle s’y installe au milieu des partitions gisantes au sol mêlées à des roses blanches. Elle joue de façon baroque des mélodies aux allures pop. L’ambiance est fascinante. Elle va continuer de jouer, pendant que nous, nous entrons une nouvelle fois dans ce parking désert, très malfamé, qui devient une arène pour un taureau et un torero aux allures queer et SM. Des barrières en métal délimitent le plateau. Le public se met autour, prêt à assister à une mise à mort.
Alors, de nouveau, encore et inlassablement, Chaignaud tente d’attirer l’attention du motard. Mais celui-ci ne bouge pas. Il est comme statufié, il fait corps avec la machine. Un bloc noir, solide, insubmersible. Et lui qui tente tout, encore mais avec une pointe de nostalgie dans la voix. Il chante, Purcell, Mozart… Il ressemble aux dessins de Nijinski, le visage est blanc, les cheveux en macarons comme la princesse Leia. Il a sur les bras et les jambes des manchettes en coquillages qui tintent à la façon de milliers de castagnettes. L’état du corps du danseur est un champ de tous les possibles. Il offre tout, mais à l’extrême : torsion de cheville, duckwalk, saluts baroques, yeux doux, yeux méchants… tout. Et pendant ce temps-là, l’autre ne remue toujours pas. À un moment, on le sent, ça va partir en biberine. Ce gars-là, il n’est pas gentil, il est l’homme à la moto, le démon, disait Piaf. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour un mec qui dit non ? Chaignaud répond une nouvelle fois : tout. Finir par l’avoir, le prendre, et se faire jeter, se faire écraser même.
Radio Vinci Park provoque des images assourdissantes d’étrangeté et de beauté. Cela ne doit pas faire oublier la leçon de danse qui est donnée. Personne d’autre ne fait ça. C’est monstrueux d’engagement, c’est total et si précis.
Jusqu’au 23 septembre à la Biennale de la danse de Lyon.
Le festival continue jusqu’au 30 septembre.
Visuel : François Chaignaud, Théo Mercier, Radio Vinci Park © Erwan Fichou