Daniel Larrieu est un monstre vivant de la danse, et cela l’énerve beaucoup quand on dit ça. Pourtant, c’est vrai. Il a, à égalité avec Buffard et Bagouet, posé et inventé des gestes qui sont là pour l’éternité. En trio, accompagné des géniaux Jérôme Andrieu et Enzo Pauchet, il revient sur sa carrière sur un mode très ludique.
Dans la droite ligne des jeux de Merce, Larrieu nous invite à tirer au sort les séquences qui décideront de l’ordre du spectacle. Et ce soir-là, dans la cour merveilleuse du Jardin de l’Évêché, le hasard a très bien fait les choses. Tout commence par Avec le temps de Léo Ferré, un solo dans lequel Daniel pose l’idée de la chanson de geste qu’il a inventé. Sans littéralité, il traduit les mots en mouvements. Cette entrée en matière pose le cadre. Le niveau de sensible monte avec le second tirage, qui est son iconique duo pour poupée, Little B, (pour William Forsythe). Une presque marionnette jaune toute molle à laquelle Larrieu redonne vie. La pièce nous entraîne ensuite dans des zones plus légères qui permettent à Jérôme Andrieu et Enzo Pauchet de s’exprimer.
Nous l’avons dit plus haut, Larrieu a posé des gestes. Il y a sa jambe qui se plie en arrière de lui, à contre-sens, ou ses directions du bout des doigts. Il y a toujours l’élégance de ses dos qui se penchent dans des demi-cercles enveloppants. Et puis il y a cette idée, pas très éloignée de Merce encore, que le mot est un son, qu’il a sa musicalité et qu’il peut devenir un geste vide de parole. L’un des moments les plus géniaux du spectacle est quand Jérôme s’empare de la technique des chansons de geste pour la tester sur Pookie d’Aya Nakamura. Et à l’ère de TikTok, cela marche à rire à en crever. Cette apparente futilité montre que l’écriture de Daniel a fonctionné, fonctionne et fonctionnera.
Il y a dans les bras qui se tendent en miroir avec une jambe, dans les têtes qui entraînent les corps, une beauté pure. L’écriture de Daniel n’a jamais été vide d’émotion. Et puis vient ce solo d’Enzo, cette reprise d’Emmy que Daniel avait dansé à Uzès, il y a 25 ans. Ce solo résume cette grammaire chorégraphique. Enzo s’empare des latéralités qu’impose cette douce partition avec une élégance folle. Il marque comme il se doit les pliures qui transforment son corps en acte. Cela aurait pu s’arrêter là, mais hors-jeu, en guise de cadeau, Daniel nous offre une danse entre références voguing et amicales avec un (bel) éventail. Là encore, il s’agit d’un solo fait de lignes, de gestes et de directions, absolument juste.
L’ensemble constitue une archive vivante et non figée de ce patrimoine. C’est merveilleux, grinçant et souvent très drôle !
Visuel : ©Benjamin Favrat