Dans le cadre de la manifestation Transatlantique de Chaillot expérience, il nous a été donné d’assister à la performance-installation d’Emmanuelle Huynh et Jocelyn Cottencin, Lands – Portrait de la ville de Houston, introduite dans la partie du foyer proche du bar et de la librairie, puis développée au studio Béjart, en complément ou contrepoint du film co-réalisé par ces auteurs.
Les spectateurs, invités par le régisseur à prendre place sur les marches du foyer, s’y rendent, pour certains, aveuglément, bousculant au passage les longues tiges en bois de section carrée assemblées en triolets de jonchets, façon « installation » arty. Plusieurs interprètes, acteurs ou « actants », soutenus, retenus, littéralement manipulés par le duo Huynh-Cottencin, lisent sur leur smartphone (non plus sur des feuilles A4 ou des écrans de P.C.) et redisent au micro, traduites en français, les réflexions sur la modernité d’un panel de Houstoniens interviewés. En parallèle à ces propos qui répondent aux hypothèses de travail d’Emmanuelle Huynh et de Jocelyn Cottencin, une troupe, à l’arrière-plan, donne forme à des figures abstraites à l’aide desdits bâtons.
Cette assez longue section fait penser à la Stäbetanz (1927) d’Oskar Schlemmer qui influença Gerhard Bohner et, plus près de nous, Loïc Touzé. Sauf que les baguettes y servaient de prothèses allongeant les membres des danseurs ou de schèmes chronophotographiques permettant de visualiser les lignes de force du mouvement et par là même d’analyser, de synthétiser, de sublimer les modes de la locomotion humaine. Ici, l’intention est tout autre, nous a-t-il semblé : on y vise à créer d’inédites géométries dans l’espace. Le projet est doublement postmoderne étant donné le sens qu’a ce mot pour les architectes – dont Cottencin fait partie – et son acception, très différente, qu’a ce concept en danse – Huynh a été marquée par l’œuvre de Trisha Brown en général et, en particulier, par la pièce Sticks (1973) que nous avons pu voir en 2008 au jardin des Tuileries dans un événement hors scène de Paris quartier d’été.
Le séjour au Texas d’Emmanuelle Huynh et de Jocelyn Cottencin n’avait a priori pas pour but d’apporter la bonne parole aux communautés vivant à Houston et dans ses environs, mais, au contraire, de rapporter la leur par les moyens du mot, du mouvement et de l’image. Les mots d’autochtones (Lucille, José, Ashley, Michael et les autres) ont eu droit à leur traduction gestuelle par un collectif de danseurs contemporains – Lucille Contreras, José Carillo, Ashley DeHoyos Sauder, Michael Henry, Vinod Hopson, Roger Moore et Henry G. Sanchez. Une vidéo en CinémaScope décrit le territoire en un long travelling allant de droite à gauche historié d’inserts et de surimpressions. Avec, en voix off, des informations sur la construction de la cité.
Les images projetées rappellent les mouvements de caméra le long du fleuve du film The Night of the Hunter (1955) de Charles Laughton et le travelling avant sous les ponts de la Seine du court métrage Césarée (1979) réalisé et commenté par Marguerite Duras. Le passé et le présent sont évoqués, aussi bien l’époque précolombienne où les bayous et les terres de la région appartenaient aux Indiens Karankawas et aux bisons, que celle dite « moderne » de l’industrialisation et de l’urbanisation à tout crin d’une ville qui, coupée de la nature, se retrouve sans centre historique. Les bâtons deviennent alors des lances comme celles de la Bataille de San Romano vue par Uccello. Les frappes des pieds des interprètes féminines invoquent les Guerillères (1969) chères à la féministe française Monique Wittig (1935-2003) qui ont inspiré le théâtre, le cinéma et la danse (cf. la pièce de Marta Izquierdo Muñoz). Les bâtons sont-ils des armes ? Ils composaient en tout cas l’armature et la charpente des tipis apaches ou karankawas.
Visuel : Lands, Portrait de la ville de Houston, d’Emmanuelle Huynh et Jocelyn Cottencin © Nicolas Villodre 2023.