Dans le cadre de la 35ème édition du Festival Paris l’Été, qui se déroule du 12 juillet au 5 août, Géraldine Chollet et la compagnie Rahu Lamo ont présenté leur pièce Ouverture – Pièce pour danseur·euse·x·s et public cheminant dans la cour d’Honneur de la Monnaie de Paris.
Nous voilà accueillis par Géraldine Chollet en personne, qui nous annonce que le spectacle que nous allons voir sera une déambulation, et nous conseille de laisser nos sacs sur des chaises. Nous voilà ensuite amenés délicatement un à un par des membres de la troupe dans le cercle ambulant qui se forme. La consigne est simple : toustes marcher en cercle dans le même sens, au rythme que l’on souhaite, tout du long du spectacle. Nous voilà donc qui marchons.
Une musique douce se fait entendre, composée surtout de rythmes graves et lents – pour commencer.
Puis, comme pour nous tester, voilà une personne qui change assez brutalement de rythme dans sa marche, allant d’un coup beaucoup plus lentement que les autres. Plusieurs personnes ralentissent, intriguées, et observent, mais personne ne suit réellement. Chacun·e leur tour, chacun·e des danseureuses – que pour l’instant nous avons souvent du mal à différencier des spectateur·ice·s – fait de même, cassant son rythme avant de reprendre la marche.
Petit à petit la danse s’installe. Très lentement, comme hors de son contrôle, le corps d’une des danseuses se met à bouger en rythme avec la musique, d’abord par les épaules, puis le mouvement s’empare de tout le corps. Et la voilà qui retourne marcher avec tout le monde. La même chose se passe pour les trois autres danseureuses, un·e à un·e : la musique les prend au corps, les voilà qui bougent presque malgré elleux, qui se plient aux rythmes que l’on entend de plus en plus fort.
Et d’un coup, c’est l’unisson. On retrouve nos quatre interprètes (Bast Hippocrate, Mélissa Guex, David Zagari et Maïté Minh Tâm Jeannolin), pour la première fois clairement identifié·e·s hors du public, en formation carrée au centre du cercle de gens qui continuent de marcher. Les voilà qui se laissent cette fois complètement faire, qui dansent au gré de la musique, qui se font envahirent par les rythmes. Les quatre danseureuses forment un unisson parfait, exécutent les mêmes mouvements, mais ne cherchent jamais une uniformité. Ils ne perdent jamais l’individu au profit du groupe : chacun·e a sa manière de danser, sa manière de placer ses bras ou ses jambes et son intensité de rebond. L’un·e pousse ce mouvement-ci plus loin, l’autre celui-là, sans nécessairement chercher à faire exactement pareil que son voisin ou sa voisine. Et le tout fonctionne.
Et puis les voilà qui repartent. Et les allers-retours commencent. Les danseureuses s’amusent à se perdre dans le public, à se faufiler, courant, dansant, marchant, sautillant. Iels se retrouvent au centre du cercle, dansent trente secondes, repartent, se séparent aux quatre coins, se retrouvent deux par deux, puis à quatre. La musique s’intensifie, la danse aussi. À bien regarder le public – car celui-ci fait réellement partie intégrante du spectacle -, on en aperçoit qui dansent, ou simplement qui bougent, qui sautillent à la place de marcher, qui se laissent aller comment jamais ils n’auraient pu assis dans une salle de spectacle.
Ce qui nous marque le plus dans tous ces allers-retours, dans ces mouvements de plus en plus vifs et complexes, dans cette énergie de plus en plus présente, ce sont les sourires des danseureuses. Rares sont les artistes qui nous font autant fondre par leur bonne humeur, leur vigueur et leur esprit très visiblement joueur.
La formation en cercle, la marche commune des spectateur·ice·s qui observent les artistes mais qui s’observent ainsi également les un·e·s et les autres, permettent de créer une forme de communauté éphémère, juste pour un soir. La musique en crescendo, les rythmes dansés qui s’accélèrent, les allers-retours des danseureuses qui nous hypnotisent créent une sorte de transe chez le public qui, sans poser plus de questions, continue inlassablement à marcher en rond. Géraldine Chollet revendique ouvertement l’inspiration entre autre religieuse dans ses chorégraphies : se définissant comme ayant des « racines paysannes et religieuses », l’artiste suisse explique puiser son inspiration de la religion, et également de la tradition de carnavals suisse très forte dans certaines régions. Elle cherche avec Ouverture à recréer des liens entre individus, liens qui se perdent de plus en plus dans les grandes villes, qui plus est au sein de sociétés capitalistes qui cherchent à nous désolidariser les un·e·s des autres, explique-t-elle.
Et puis lentement, très lentement, on se rend compte que les quatre danseureuses ne sont pas seul·e·s. Quatre autres personnages, ou silhouettes plutôt, se font apercevoir au fond de la cour, à moitié cachées derrières les accolades de la Monnaie de Paris. Elles ne semblent en rien déranger nos danseureuses qui continuent leurs chorégraphies – s’agrémentant à présent de cris réguliers émanants d’elleux chacun leur tour, annonçant à chaque fois un changement de pas de danse -, et ne les dérangeront d’ailleurs jamais. Elles passent dans le fond de la cour, puis s’approchent toujours aussi lentement par un des côtés, mais très vite s’arrêtent et se résument à un simple balancement sur place, avant de prendre d’elles-mêmes la sortie. Quatre figures très étranges, en collants colorés et hauts blancs, entre plumes et sacs plastiques, les recouvrant de la taille jusqu’à leur dernier cheveux, si bien qu’elles n’ont aucun visage. Qui sont-elles, ces silhouettes mystérieuses ? Aucune réponse ne sera apportée. Quatre figures inquiétantes pour lesquelles l’interprétation est entièrement libre. Peut-être des sortes de fantômes, de memento mori, d’images de la mort, un pour chaque danseureuse, rappelant l’importance de chaque instant et ne donnant que plus de force et de verve à nos quatre interprètes ? Ou peut-être une façon de souligner la puissance de la danse, art qui, surtout exercé en communauté, peut dans certaines croyances affiner la séparation entre vivants et morts ? En tout cas, l’énergie des artistes n’en a que plus crescendé, alignée avec la musique et le laissé-aller du public.
Lorsque soudain, tout s’arrête. La musique, la danse, tout retombe. Tout, sauf le public qui, fidèle à la consigne, continue de tourner en cercle, ne faisant que ralentir quelque peu afin de chercher à comprendre la source de ce calme brutal.
Et là, s’immisçant dans le cercle, apparaît Géraldine Chollet accompagnée d’un guitariste. S’élève alors un air simple, doux, quelques notes seulement, auxquelles se joint vite la voix de la chorégraphe, qui revêt une peau de chanteuse pour l’occasion. Des membres de l’équipe artistique distribuent alors au public des boissons chaudes, comme pour les réconforter après l’effort de cette marche en cercle qui, sans que nous nous en rendions compte, a duré près d’une heure vingt. Après l’effort, le réconfort : une musique douce, envoûtante, une boisson chaude, et une marche d’un coup plus lente, que de plus en plus de spectateur·ice·s abandonnent au fur et à mesure pour profiter des escaliers de la cour et s’assoir, à nouveau mêlés aux danseureuses qui se sont assis·es en premier, et ce jusqu’au son des applaudissements résonnant dans la cour de la Monnaie de Paris.
Une fin réconfortante, calme, sans silhouette mystérieuse ni rythmes endiablés ou pas de danse enlevés. Un peu décousue, pas nécessairement sûre d’elle, mais apaisante et belle.
Ce spectacle est à retrouver ce jeudi 17 juillet et vendredi 18 juillet à 21h30 à la Monnaie de Paris.
Le festival Paris l’Été se déroule du 12 juillet au 5 août. Retrouvez toute la programmation ici.
Visuel : ©Paris l’été