Le festival de la Ménagerie de Verre s’est ouvert en collaboration avec le Festival d’Automne et la programmation hors les murs, nommée Constellations, du Centre Pompidou, avec une occupation sans pareille du Off, une plongée dans la pureté des particules, des sons et des matières.
On le sait, la Ménagerie de Verre est toujours en mouvement. Les œuvres débordent des espaces, et les envies d’occupation de ceux-ci sont en perpétuelle réinvention. Symboliquement, la démission de Philippe Quesne de la direction du lieu, à quelques jours du lancement d’un festival qu’il a pensé, ajoute à cette sensation de tectonique des plaques en action. Pourquoi penser aux fondations de notre planète dans ce contexte ? Parce que Noé Soulier et Tarek Atoui, en réalité.
Nous arrivons dans une grande salle au gradin retapé. On peut s’y asseoir ou se placer n’importe où, ou presque, autour des éléments scéniques, et ils sont plutôt surprenants. Tout au centre, un bac en pierre à l’allure de lavoir est surplombé d’un tube et d’une cymbale. Ailleurs, une double estrade remplie de petits pads colorés. Plus loin, un tapis et un arrosoir. Encore ailleurs, des plaques de cuivre suspendues. Et partout, des câbles au sol, beaucoup.
On l’a souvent rappelé, notamment en 2023 lors des représentations de Close Up, le directeur du Centre national de danse contemporaine d’Angers est le plus philosophe des chorégraphes. Ses spectacles questionnent toujours les traces dessinées par les corps et leurs puissances intellectuelles. Organon est, une nouvelle fois, une quête de lignes, mais, et c’est surprenant, la partition en est improvisée. Et pourtant, quand on regarde danser les interprètes, on ressent une écriture d’une précision extrême.
On le sait, Noé Soulier aime jouer avec des modules chorégraphiques qu’il assemble comme des puzzles. Quatre danseuses et un danseur évoluent dans ce lieu minéral et organique en produisant leurs propres sons. On adore un duo qui prouve que, si on ne se touche pas, rien ne se passe, en apparence. Par grappes, les danseureuses se retrouvent embriqué·es, porté·es, et, étonnamment, mis·es dans des situations enfantines. La première scène ressemble à une partie de Twister, ce vieux jeu toujours pratiqué aujourd’hui où le ou la participant·e doit évoluer sur un rond de couleur indiquant s’il faut déplacer le pied gauche ou droit, la main gauche ou droite, et sur quelle pastille la placer. Elles et lui, pour le coup, ne suivent pas les règles et posent allègrement leurs genoux et leurs coudes sur des micro-espaces producteurs de vibrations.
On le sait aussi, Noé Soulier, bien formé à la danse classique, cunninghamien et keersmaekerien, aime provoquer des séquences de danse pure, à la beauté parfaite. Chaque interprète brille dans des dos d’un plat, mais d’un plat à faire pâlir d’envie quiconque tente d’atteindre cet objectif. Les jambes se déploient fermement vers l’arrière, les hanches montent, et souvent, les corps se replient complètement sur eux-mêmes, dans toutes les directions possibles, à la verticale notamment. Ici, on s’emmêle seul·e les pinceaux de ses membres, on garde une main ferme sur un poignet, on se soulève comme si l’autre pesait des tonnes, et, pour toujours, on se suspend aux barres du plafond du Off de la Ménagerie.
Stephanie Amurao, Yumiko Funaya, Nangaline Gomis, Samuel Planas, Mélisande Tonolo et Gal Zusmanovich témoignent d’une écoute et d’une attention sans faille. La danse est profonde, elle déploie les formes géométriques à construire. Organon est un mot grec ancien signifiant « instrument », « organe », « ouvrage ». Soulier et Atoui ont pris ces trois éléments, l’instrument, l’organe et l’ouvrage, pour en faire un grand tout qui flotte dans les ondulations de l’eau et de la musique.
Au bout du chemin, tout est calme, beau et parfaitement aligné dans un détail du geste qui ne surprend pas chez cet excellent chorégraphe à qui, c’est chic, le Festival d’Automne avait consacré un portrait en six spectacles en 2022.