Après le micro pas de deux de Rebecca Journo et Linda Hayford, nous changeons de style de façon radicale pour nous plonger, au Théâtre de l’Aquarium, dans l’univers décalé de la danseuse et chorégraphe Marie-Caroline Hominal.
Quand on entre sur le plateau, oui, sur le plateau du théâtre, c’est le bordel. Ça grouille de toutes parts, ça se bouscule un peu. Clairement, on ne sait pas où donner de la tête. Il y a partout : des corps, des paillettes, de la lumière et surtout des spectacteur.ice.s qui ne savent pas où s’assoir. Nous ne le savions pas encore, en nous retrouvant coincé debout face à un trapèze, que nous avions choisi la meilleure place, celle qui serait au cœur du souffle des interprètes, celle qui nous ferait croire que, nous aussi, nous pouvons en être. L’ambiance est celle d’un studio de cinéma en ébullition. Tous et toutes font leur truc, en mode un peu perso, et quelques fois, déjà, se retrouve à deux, à trois. Pas encore plus, il faudra attendre. Il y a un caddie qui génère de la lumière, un fond violet, une barre de danse, Il y a surtout Salomon Asaro Baneck, Simone Aubert, Alexandra Bellon, trois muscienn.e.s : deux batteries, une guitare, et ça tape déjà fort. Les jambes se croisent derrière, l’une se plie, le mouvement avance. Iels brillent de tous feux, dans des costumes flamboyants. Il faut être vu, il faut en être. Les bras sont à la fête, avec parfois des allures de samba, les sourires sont vissés, les regards francs, la séduction est de mise, comme au cabaret.
Marie-Caroline Hominal nous confie que l’un de ses motifs favoris est la ronde. Elle s’y emploie ici pour calmer le jeu dans des figures d’unisson très bien exécutées. Ces rondes ou ces farandoles, c’est selon, reprennent son motif de base : en arrière, croisement de jambe, plié d’une jambe. L’effet de beauté est immédiat, car le groupe est nombreux et extrêmement rythmé. Il faut avoir en tête qu’entre 2014 et 2020, elle a créé cinq pièces qui explorent l’imaginaire de la fête, la dynamique de l’entertainment et des artifices théâtraux. Il faut aussi avoir en tête que chez elle, les titres des pièces amènent les pièces. Numéro 0 / scène III se place pile dans l’air du temps qui voit le meta-théâtre s’immiscer dans tous les arts vivants. Le voilà dans ce non-ballet où la performance utilise la danse comme médium pour repenser la présence au centre de la piste.
Sans trop spoiler, disons que la chorégraphe cherche à nous faire réfléchir sur deux niveaux de perception. Pour le premier, nous sommes dans une relation d’égalité avec les interprètes, nous pouvons les scruter un par un et poser notre regard par exemple sur ce duo de sœurs devenues siamoises toutes droites sorties de l’univers de Lynch où sur ce garçon qui brille dans des dissociations du haut du corps fort queer. Dans le second, nous devenons les dominant.e.s posant un regard global et descendant sur ces bêtes de foire pret.e.s à suer tout leur être pour justement être reperé.e.s. Jade Albasini, Alexandre Bibia, Natan Bouzy, Beatriz Coelho, Marcus Diallo, Anaïs Glérant, Marie-Caroline Hominal, Lola Kervroëdan, Akané Nussbaum, David Zagari sont tous et toutes ancré.e.s dans ce souffle kitsch, tonitruant et sensible. La pièce nous ramène à Histoire(s) du Théâtre de Miet Warlop, qui, elle aussi, achevait ses interprètes sur l’autel du show must go on. D’ailleurs, Numéro 0 / scène III a été rendu possible grâce à Transforme, un fond suisse pour les artistes pendant la covid, c’est-à-dire à un moment où la culture aussi était confinée, cela donne un spectacle comme une explosion et avouons-le, nous, on aurait bien aimé rester tout le spectacle sous le trapèze à voir virevolter ces performeurs, performeuse, danseurs et danseuses rigoureusement frénétiques.