Nina Laisné donne à voir la musique de Hilda Herrera à Chaillot

par Amélie Blaustein-Niddam
27.09.2024

Nina Laisné aurait-elle inventé une nouvelle forme de danse documentaire ? En décentrant le regard sur le son plus que sur le mouvement, elle fait de Como una baguala oscura un objet assez étrange, entre grand classicisme et avant-garde. Étonnant.

« Qu’as-tu au bout de tes doigts ? »

Après l’immense chef-d’œuvre Romances inciertos (2018), Nina Laisné nous présente deux monuments du folklore argentin : le danseur Néstor ‘Pola’ Pastorive et la pianiste et compositrice Hilda Herrera, qui a révolutionné la place des femmes dans les musiques traditionnelles en osant composer seule, au piano. Ses mélodies et ses textes ont souvent été interprétés par Mercedes Sosa. Pola, lui, est un roi du flamenco, rien que ça. La musicienne et chorégraphe nous conduit dans un décor à la fois tellurique et onirique. Un immense tronc d’arbre sert de socle à la danse, un écran est placé de l’autre côté, devant lui se trouvent des pierres, du sable, des fils. Nous sommes quelque part dans un ancien western argentin, il y a longtemps.

« Des petits bouts de douleur colmatent les brèches de mon âme »

Lui, il semble danser depuis la nuit des temps et porter en lui tout l’héritage de celles et ceux qui ont frappé le bombo et dansé des zapateos qui glissent sur la scène. Lui, il s’augmente de tissus, de plumes, de couteaux. Tout ce qui peut transformer le corps et changer l’allure du malambo, cette danse qui ressemble au flamenco pour nos yeux européannos-centrés. La pièce est un véritable pas de deux entre le témoignage de Hilda Herrera et la danse de Néstor ‘Pola’ Pastorive. On la voit à son piano, cherchant les notes, les trouvant, puis se mettant à jouer. C’est éblouissant. Elle raconte une zamba ou une chacarera qui, à chaque fois, vous transporte par sa beauté. Elle et lui sont bien ancrés. Elle dans ses doigts, lui dans ses pieds.

« D’où peut-il bien venir ? »

D’où vient l’idée d’un pas ou d’une note ? Nina Laisné répond que la réponse dépasse la raison. La musique de Hilda Herrera est extrêmement charnelle, la danse de Néstor ‘Pola’ Pastorive est, elle, reliée à la colère de la terre. L’ensemble du spectacle prend des allures nostalgiques, laissant entrer la lumière dans la poussière soulevée par le sable. Pourtant, ces gestes et ces mélodies existent bien dans le présent, et la pièce donne furieusement envie de se précipiter sur une plateforme d’écoute pour ajouter aux favoris les albums de cette pianiste virtuose et attachante. On regrette cependant une mise en scène trop classique, qui alterne entre danse et vidéo, un peu comme des tableaux. Mais cela n’enlève rien au talent de Nina Laisné, qui offre ici la possibilité d’entendre la musique de Hilda Herrera dans des conditions parfaites et de voir la puissance de Néstor ‘Pola’ Pastorive.

À Chaillot – Théâtre national de la Danse, dans le cadre du Festival d’automne, jusqu’au 29 septembre.

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« Des petits bouts de douleur colmatent les brèches de mon âme »

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