Au Festival Ardanthé le performeur et chorégraphe Maurice Broizat croise l’écriture Laban et la pensée de Paul B Preciado dans une grande bouffe chorégraphique à la fois belle et absurde dont l’esthétique se niche quelque part dans le kitsch d’une sitcom.
Sur scène, des tables blanches pliables et des chaises tout aussi blanches. Leurs pieds sont des balles de tennis roses. Pendant l’entrée du public, Alexandre Bibia, en rose, et Silvia Di Rienzo , en bleu, s’adonnent à un « air-repas ». Il et elle mâchent, avalent, boivent et dévorent, dans une gestuelle faciale délicieusement grimacière. Sur le côté, un musicien attend son tour : Antonin Appaix (le fils de Georges Appaix, au fait), entièrement habillé de beige.
Puis surgit le danseur britannique culte Bryan Campbell, également regard extérieur sur le projet. Il alterne avec Jayson Batut. Son arrivée, en jaune, est une entrée en matière massive : il se pose, nous parle de ses états d’âme, puis fait une confession : « On a une chorégraphie. »
La danse surgit sous la forme d’un cours de méthode Laban, autrement dit, d’une danse structurée par une forme géométrique invisible. Concrètement, Alexandre exécute la Gamme A de la choréutique de Laban, un flux très dirigé, guidé par le bras.
Dans un délire de lumières roses, bleues et un peu vertes, la pièce évolue et nous embarque par la main. Impossible de ne pas suivre ces propositions aux allures absurdes. Maurice Broizat place par exemple
ses interprètes en fond de scène, attablés et discutant de façon animée — pour de faux — tandis qu’Antonin Appaix se lance dans un concert électrisant. Il y délivre des textes hilarants sur l’air du temps.
L’image nous propulse tout droit dans les années 90, époque Hélène et les Garçons : ça papote à la cafèt’, de grands verres remplis de fausses boissons à la main. Entre-temps, Silvia a pu montrer l’étendue de son savoir-faire, notamment dans une traversée au sol façon cobra croisé avec un chat, où torsions et pliés se font d’une complexité fascinante. Elle excelle aussi dans des reverse aux thorax rentré, toute remplie de souffle.
La finesse de l’écriture et son originalité surprennent et se déploient tout au long de ce travail, oscillant en permanence entre la blague et une grande mélancolie. On a envie de s’y lover, tout simplement.
Maurice Broizat permet à ses interprètes de déployer leur danse dans un cadre très précis. Il les rassemble dans un trio tout en douceur, puisant dans les latéralités du dos. La lenteur est un axe fort de la pièce : souvent, le geste fond et descend pour gagner en profondeur et en densité.
Et peut-être faut-il écrire qu’au-delà des sourires et de l’inattendu, l’alternance entre théâtre et danse pure est magistralement orchestrée. Maurice Broizat signe une pièce d’une écriture précise, une construction impeccable, une originalité éclatante.
On en sort rempli de bonheur. Ça tombe bien : c’était l’objectif.
Le festival d’Ardanthé se poursuit jusqu’au 28 mars
Visuel : © Anael Miantsoukina