Depuis ses toutes premières dates en novembre, Maldonne a bien grandi, il a gagné en structure, en puissance et en liberté. Hier soir, la chorégraphe présentait la dernière représentation de sa série de quatre dates pour le chaleureux Espace 1789. Puissant.
Qu’il est long le chemin vers l’égalité entre les sexes, qu’il est long le chemin qui permet à chaque femme de relever la tête, d’arrêter de serrer les poings, d’assumer, de ne plus cacher ses larmes. Ce que nous venons d’écrire, c’est ce que montre ce quintette en robes à fleurs impossibles à dater. Ces robes appellent les images des femmes de toujours, affairées au ménage, à la cuisine, aux enfants, elles convoquent le stéréotype de la ménagère mal fagotée. Maldonne, le mot, est un réservoir à signifiants. On peut le dire vite et entendre « Madonne », ce qui colle bien avec le début de cette critique. On peut y voir une référence au poker, plus précisément à une mauvaise distribution au poker, comme le pointait Nicolas Villodre lorsqu’il a découvert la pièce en avant-première à La Garance, où Leïla Ka, est, comme à l’Espace 1789, associée. Mais Maldonne sonne aussi comme « Maldon », le tube de Zouk Machine qui a mis sur toutes les lèvres ces paroles :
Nettoyer, balayer, astiquer
La maison est toujours propre
Je te fais à manger, je te donne de l’amour
Et pour toi je le fais en chantant
Alors, à voir Jennifer Dubreuil Houthemann, Jane Fournier Dumet, Leïla Ka, Zoé Lakhnati, Jade Logmo se battre pour elles-mêmes au rythme seul de leur souffle, on se dit que les poncifs machistes des années 1980 sont encore bien présents. Le geste est millimétré. Le mouvement, chez Leïla Ka, est construit comme un déploiement, une respiration. Elle part d’un pas qu’elle pose, par exemple, un piétinement délicieux, pour l’ouvrir jusqu’à un pivot virevoltant.
La danse est rapide, profonde, en colère, mais sans rage. Les danseuses ne font pas la guerre, elles sont après, elles ont gagné. La pièce Maldonne est la prolongation de Bouffées qui était uniquement le début, la séquence de souffles aux poings qui se serrent avant de s’ouvrir au-dessus des têtes.
Ce faisant, Leila Ka, qui a dansé dans May B de Maggy Maguin, donne sa version de la danse théâtre. En hommage à Pina, elle joue à saluer au coeur de la pièce, mais, en post-Pina elle intègre les codes queer du lip-sync sur la version (totalement Cult) de Lara Fabian de « Je suis malade », elle assume être amoureuse de l’amour sur « Dance Me To the End of Love » de Leonard Cohen. Au fur et à mesure, elle réhabilite toutes ces générations contraintes et réduites à une condition imposée.
La danse est puissante, sans facilités. Les corps scandent, assument leurs contradictions dans des contretemps qui semblent dire : ensemble, oui, mais toutes uniques !
Leila Ka rhabille le patriarcat et le range au dressing. Elle le fait en une heure de danse pure, aux origines mêlées, autant hip-hop que contemporaine. 100 % elle. Ce faisant, elle vous attrape par les tripes pour ne jamais vous lâcher, dans une émotion qui est d’autant plus intense qu’elle est portée par un talent monstre et des esthétiques renouvelées.
Visuel : ©Nora Houguenade