« Magec/The Desert », Radouan Mriziga aux portes du désert

P.A.R.T.S

Radouan Mriziga, chorégraphe marocain d’origine bruxelloise, a commencé la danse à Marrakech. Comme nombre de danseurs et danseuses de cette édition, il est passé par la case P.A.R.T.S, l’école de Anne Teresa De Keersmaeker. Après une trilogie en solo, il a retrouvé cette dernière dans une cosignature de la pièce Il Cimento dell’Armonia e dell’Inventione qui donnait une nouvelle version des Quatre Saisons de Vivaldi. Nous y avons découvert Sofiane El Boukhari, qui partage la scène dans Magec avec deux danseurs et trois breakeurs. 

À la porte du désert et de sa magie

Le spectacle aurait pu laisser penser à une approche sensible, sensitive, basée sur la matière, traduite par la danse. L’angle plus cérébral, ethnologique (masques, symboles…) que sensitif nous laisse en dehors du propos. Pourtant, le cloitre des Célestins est un lieu qui attribue déjà quelques points « émotions » supplémentaires à tout spectacle qui s’y produit, l’attente y est toujours grande. Immanquablement, les souvenirs des coups de cœur dans cette place magique affluent dans l’impatience de la découverte d’une nouvelle appropriation qui fera date ou sens. L’année dernière, la proposition de La Ribot avait marqué les esprits et réveillé le festival. Une première déception vient peut-être déjà de là. De cette non tentative. À chaque fois qu’un artiste a voulu poser un décor sur ce lieu il a pu se tromper, ne pas poser les bonnes intentions ou le sublimer. Radouan Mriziga, qui est habituellement très attaché à l’architecture et explore la relation entre l’espace, le corps et l’intellect ne s’est, ici, que concentré sur ce dernier aspect. Au Kunstenfestival des arts ce spectacle avait été présenté dans un dispositif de boite noire ; à Tunis, elle épousera une scénographie en quadri frontalel. Ces « adaptations » de lieu pourraient fonctionner si elles apportaient une plus-value au spectacle. Or le signifiant, matérialisé par un ensemble de signes ethnographiques, écrase le signifié et broie l’émotion. Nous errons, assoiffés de beauté, tant nous sommes déroutés par ces costumes et représentations vidéo plus années 70 que représentative de l’univers cosmique de Sun Ra dont Radouan Mriziga dit s’être inspiré. Le rond central apposé sur une des coursives de la cour du cloitre, qui sert de support de projection et de capteur lumière, est le seul élément scénographique qui est proposé.   

Disproportions 

Une pauvreté qui se retrouve aussi dans les mouvements. Une danse qui a du mal à se définir. La disparité de l’interprétation des danseurs est tellement criante qu’elle nous fait oublier que nous sommes dans le plus grand festival international. Se succèdent des brides de styles, de danses qui ne s’emboîtent dans aucune dramaturgie et font peu référence au désert. Le styliste Salah Barka tire son inspiration de Gabès, sa ville natale au sud de la Tunisie, et de l’ensemble du continent africain. Il ne conçoit pas seulement des vêtements, il crée des personnages. Chaque danseur porte le costume d’une des représentations des animaux du désert. Dans Magec, leur lisibilité n’est pas évidente, ils n’évoquent pas. Les masques, font barriére plus qu’ils n’incarnent. 

Éclats de beautés

Le spectacle est sauvé de ses défauts par la musique portée par la DJ et productrice Deena Abdelwahed, qui mixe des rythmes traditionnels issus de plusieurs pays arabes, du fazzani tunisien au chaâbi marocain, pour créer des sonorités électroniques futuristes. Des voix transfigurées, un arabe trafiqué ou un langage carrément inventé deviennent matière sonore, matière dansante. Un pas chassé sur une pulsation arabo-électro, une danse d’ensemble qui s’étire en ronde
Pourtant, derrière cette proposition ambitieuse se devine une certaine prétention, à l’inverse de celle de Laaroussa Quartet, qui assumait une authenticité et une véritable immersion sensorielle. La démonstration de Sofiane El Boukhari, danseur techniquement solide et charismatique, reperé dans Il Cimento dell’Armonia e dell’Inventione, explose dans la derniere partie mais ne parvient pas à sauver l’ensemble. Côté ressenti, il y a certes quelques éclats : la musique mixée fonctionne, certains mouvements de groupe – qui ne sont pas sans rappeler le travail d’Anne Teresa De Keersmaeker – accrochent l’œil. Mais au-delà de ces instants, ni émotion ni véritable voyage ne s’installe. Jamais nous ne sommes transportés dans le désert évoqué.