L’Ombre de soi a été donné en primeur, début juin 2024, au Centre Victoire Tinayre, dans le 13e arrondissement, à l’initiative de la galerie théâtrale Le fil rouge et de Paris anim’ avant d’être bissé à la Maison fraternelle du quartier latin. L’hommage de la chorégraphe à une artiste femme, la chanteuse américaine Janis Joplin, a coïncidé avec la célébration du D-Day.
Janis Joplin (1943-1970), chanteuse pop fan de Bessie Smith, Big Mama Thornton et Tina Turner, fait partie des artistes décédé(e)s à l’âge de 27 ans comme Robert Johnson, Jimi Hendrix, Brian Jones, Jim Morrison, Alan Wilson, Ron McKernan, Dave Alexander, Kurt Cobain, Jean-Michel Basquiat, Amy Winehouse, etc. Odile Cougoule vit celle qu’on surnomma « Pearl » en concert, un an avant sa mort par surdose dans une chambre d’hôtel. Soit la dernière année où la chanteuse brilla de tous ses feux dans une tournée internationale, entre deux festivals de légende, celui de Monterey puis de Woodstock – où, complètement ivre et chargée à bloc, elle fut l’ombre d’elle-même.
Odile Cougoule – chorégraphe qui, faut-il le rappeler ?, fut primée au Concours de Bagnolet dix ans plus tard, dans la promotion de Dominique Bagouet – passe ici de l’abstraction à un fil conducteur narratif ou, si l’on peut dire, bio-chorégraphique, qui permet à la danseuse Chloé Sénéjoux – droit issue du CNSMD – d’exprimer diverses atmosphères suggérées par la musique soul, psychédélique, blues et free jazz : « And the Gods Made Love » (1968) de Jimi Hendrix, tiré de l’album Electric Ladyland, « Dark Victory » de et par le pianiste Paul Bley accompagné en 1990 du bassiste Charlie Haden, « Doing It to Death » (1973) de James Brown et « Summertime », scie musicale tirée de l’opéra des frères Gershwin et de DuBose Heyward, Porgy and Bess (1935), interprétée, il est vrai, de façon poignante par Joplin.
On peut penser que ce que clamait Nino Ferrer en 1966 dans sa chanson « Je veux être noir », Janis Joplin, jeune Texane au visage ingrat, moquée par ses camarades de classe garçons qui (de ce fait ?) se tourna vers les femmes, l’ait aussi souhaité. À l’instar d’un Elvis qui perça en 1956 en interprétant à la télévision le standard de Leiber et Stoller popularisé en 1952 par Big Mama Thornton, « Hound Dog ». La playlist d’Odile Cougoule permet d’exprimer par la danse les moments d’extase, d’exaltation, de rage, mais aussi le spleen, la mélancolie, l’évasion dans les drogues dures et le plongeon final.
Ces sensations sont exprimées en peu de temps au moyen de la danse. Grâce à une suite gestuelle ininterrompue savamment planifiée par Odile Cougoule et à l’instinct herméneutique de Chloé Sénéjoux. Le démarrage en trombe (et en silence) traduit la notion d’urgence de la (courte) vie menée par la chanteuse. Les passages calmes contrastent avec les chutes et rechutes qui ont valeur symbolique et font de l’effet sur le béton du centre voué à la mémoire de la communarde Victoire Tinayre. Vitesse, sveltesse et souplesse caractérisent le solo. La danseuse enchaîne difficultés techniques, contorsions, équilibres, grands ponts, changements de direction… Tout cela en une quinzaine de minutes.
Solo présenté dans le cadre du festival Un fil à l’appart et des portes ouvertes des Lézarts de la Bièvre.
Visuel © Nicolas Villodre