La direction du Tanztheater Wuppertal, la compagnie fondée par Pina Bausch, a été confiée en 2022 au chorégraphe français Boris Charmatz. Ce dernier propose sa première création en tant que nouveau directeur dans une église brutaliste aux environs de la ville. Liberté cathédrale est une pièce passionnante, audacieuse et existentielle, visible en France à la fin du mois de septembre dans le cadre de la Biennale de la danse de Lyon, puis en décembre à Lille et enfin en avril à Paris.
Liberté Cathédrale réunit pas moins d’une vingtaine de danseurs membres du Tanztheater Wuppertal ainsi que quelques invités, des artistes qui ont déjà travaillé avec Boris Charmatz. La pièce se joue à quelques kilomètres de Wuppertal, dans l’église Mariendom, monumentale et fascinante construction en béton conçue par Gottfried Böhm dans les années 60 à Velbert-Neviges.
Boris Charmatz met en scène un ensemble d’individus qui, dans le chaos contemporain, chutent, se relèvent et se précipitent dans une course à corps perdu. Essoufflés, ils chantent a capella quelques réminiscences de la dernière sonate opus 111 de Beethoven, courent encore, chancellent, se figent, s’effondrent à nouveau. Quelques solitudes se rencontrent. Liberté Cathédrale raconte l’incrédulité, la sidération, la vulnérabilité de ces êtres ballotés, suant et haletant dans ce lieu aride où hurlera un orgue assourdissant, où sonnera le glas menaçant, où le silence imposera l’humilité.
On assiste à des parades de corps tremblants et convulsifs comme ceux des fous et des monstres de Jérôme Bosch, à un bal cacophonique, une fête nocturne ou un rituel insolite. Plus tard, la pièce prend des allures de cabaret dans lequel les costumes sont bigarrés, les corps sont dénudés. Les danseurs interpellent directement les spectateurs avec exubérance, chantent Fuck the Pain Away de Peaches, invitent quelques personnes du public à se joindre à la danse en formant une ronde, récitent un poème de John Donne : « la mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain ».
Le geste de Charmatz n’est jamais sage, jamais convenable, toujours, singulier, radical. Liberté Cathédrale est une création ambitieuse qui trouble, provoque et éprouve par sa beauté mystérieuse, par la puissance du collectif et la picturalité de l’ensemble. Le dernier tableau qui pourrait évoquer le déluge est saisissant. Les corps des danseurs sont couchés au sol, sans vie. Une danseuse en baskets blanches marche sur ces corps formant un tas. Tous se relèvent, se soulèvent, se portent et se tirent les uns les autres comme pour se sauver. De quoi ? L’humanité court à sa perte et de dieu(x), on n’observe aucune présence.
Photo :© Evangelos Rodoulis