Dans le cadre du week-end Solo Bach, la Philharmonie de Paris présentait Opus, pièce créée en 2016 par le chorégraphe Christos Papadopoulos. Écrite d’après l’Art de la fugue de Bach, en collaboration avec le compositeur grec Kornilios Selamsis, cette œuvre déjà présentée à Paris a retenu cette fois – ci l’attention d’un public principalement de musiciens et d’amateurs de musique conquis par la démarche minimaliste et conceptuelle qu’elle défend.
Fond de scène blanc, sol blanc une ampoule maintenue au ras du sol par un fil descendant des cintres… Dans ce décor sobre et pur, un danseur, pantalon noir, chemise noire, chaussures noires, avance et s’installe sur le sol en suivant un chemin de mouvements clair, précis, qui nous fait pressentir la teneur de la danse qui va suivre. Sa présence est forte dans cet univers sans affect. Une note résonne, une seule, que le danseur se met à suivre par des hochements de tête rythmés. La note par ce simple mouvement devient visible autant dans sa rythmique et ses accentuations que sa durée. Que regarde-t – on ? Notre perception devient confuse. Geste et musique se superposent, refusant l’interaction, mais acceptant que l’un et l’autre ne fasse qu’un. Le danseur avec beaucoup de rigueur développe un module dans lequel chaque geste est la transcription exacte du son entendu. On est loin de la volubilité de Bach et d’une quelconque narration chorégraphique.
Trois danseuses, pantalon, chemise et chaussures noires, entrent successivement suivant chacune une note. Obéissant à la logique de superposition des voix propre à l’écriture d’une fugue, à chacune sa voix. Celles-ci pour l’instant ne composent pas de mélodie, mais s’assemblent comme pour rendre visible le principe de composition musical qui caractérise la fugue.
De par son écriture contrapunctique la fugue peut paraitre aride, à l’interprète de lui donner de la chair pour qu’elle nous saisisse au-delà de l’exercice formel.
Déplacement du poids du corps dans le corps, gestion de la gravité, justesse de la direction du mouvement et de son intention spatiale, les danseurs, notamment Georgios Kotsifakis, mettent en jeu leur technicité et leur engagement au service d’une œuvre de précision qui pourrait être glaçante. Les modules gestuels défilent, se répètent identiques et différents… Bustes, bras, têtes sont engagés ; les pieds, socles du mouvement glissent imperceptiblement sur le sol pour faire changer l’orientation des corps. Les gestes persistent dans la simplicité bien que les tonalités changent, l’atmosphère reste calme. Bach est comme entendu au lointain. La qualité du mouvement évolue lorsque les danseurs entrent en connexion avec lui. Le glissement des pieds semble accompagner le glissement des sons vers la construction mélodique.
On oublie peu à peu nos désirs de partitions enflammées et de spatialité débordante et l’on plonge sans réticences dans ce répétitif minimaliste, très années 70, qui sait hypnotiser les plus résistants.
Opus est en soi une expérience à laquelle nous convie Christos Papadopoulos et comme dans toute expérience, le principe qui la guide est exposé puis creusé à l’infini. La perfection du projet et de sa réalisation nous embarque et le temps ne compte plus.
Philharmonie de Paris, 26 novembre 2023
Opus (2016)
Chorégraphe : Christos papadopoulos,
Création musicale : Kornillos Selamsis
Costume : Claire Bracewell
Visuel :©DP