Les fondus enchainés de Christian Ubl ouvrent la 47e édition des Hivernales

Au commencement, il y a des éléments

Sur la feuille de salle, nous apprenons que le point de départ de cette création est un film des plus expérimentaux : Der Lauf der Dinge, un film de Peter Fischli et David Weiss sorti en 1987. On y voit des réactions en chaîne. Un sac poubelle tourne sur lui-même, actionnant un pneu qui roule et fait tomber une échelle, et ainsi de suite pendant 30 minutes. Les mouvements sont toujours interdépendants. C’est exactement ce qui se passe sur le plateau, du côté des vivants en 2025.

On le sait, la danse de Ubl est festive (La Cinquième Saison), voire drôle (The Garden of Chance), et toujours référencée (Tabula Rasa). Il a été formé chez Coline et a dansé pour les plus grands : Les Carnets Bagouet, Thomas Lebrun. Avant cela, il a suivi les cours de l’école Trisha Brown, et tout son parcours se retrouve ici, dans cette partition pour six interprètes et un musicien.

Sur scène, une batterie occupe un bel espace côté cour. En face, des briques blanches forment un arc de cercle, et au sol, des traits de couleur tracent une autre courbe. Le groupe entre, tout de noir vêtu. Émilie Cornillot, Marion Dechanteloup, Hannah Le Mesle, Martin Mauries, Baptiste Ménard, Yoann Hourcade et Romain Constant (musique) sont déjà en posture de vrille ; le groupe fait vrille autour de cette batterie. Une danseuse lance son bras comme si elle avait une balle dans la main : cela atterrit sur la peau de la grosse caisse. Rapidement, le son devient l’élément central de ce travail, le moteur du geste.

Faire communauté

Dans une référence claire au geste fondateur d’Anne Teresa De Keersmaeker, les épaules entraînent une vrille qui enlace tout le reste du corps. La comparaison s’arrête là, car, à la différence de la chorégraphe flamande, Ubl va toujours au bout du mouvement. Son propos n’est pas la dissonance, mais bien l’être-ensemble.

Les actions des un·e·s ont des conséquences sur celles des autres. Il s’amuse, dans une grammaire très classique de la danse contemporaine, à provoquer des lignes comme des aiguilles d’une montre qui tournent droit et en bon rythme. Il explose évidemment les groupes pour mettre en avant les singularités de chacun et chacune. Le groupe est un, mais il n’est pas un bloc monolithique. Il est divers en corps, en âges et en genres. Il est un groupe d’aujourd’hui.

L’écriture permet aux interprètes de se déployer pleinement. La grammaire est anguleuse, les coudes se plient dans des alignements verticaux. Les ressorts sont permanents et provoquent des rebonds et d’autres impulsions dans les hanches (Trisha Brown, toujours).

Il vaut mieux en rire

La pièce prend, au fur et à mesure, des allures de fête. Les couleurs s’emparent du plateau et le jeu, au sens enfantin du terme, devient très présent. Ubl détourne même l’idée des boîtes à meuh.

Romain Constant est éblouissant dans la maîtrise de sa batterie préparée, devenant un magicien qui semble faire jaillir la musique électrique de l’air. Il maîtrise la thérémine, cet instrument invisible qui donne au son des allures stellaires. La dramaturgie se tient parfaitement, jusqu’à nous surprendre dans des explosions inattendues. Les danseurs et danseuses nous font fondre dans des portés désaxés, à deux ou à plusieurs.

Et, dans une pure séquence d’unisson — rassurez-vous, elles sont brèves, il ne s’agit pas de s’engluer dans la tendance forte du moment, qui consiste à remplir l’espace avec du joli vide de sens —, le chorégraphe assume l’idée que l’unité est une force dans sa diversité.

The Way Things Go est une vraie fête qui lance le festival dans un feu d’artifice des plus référencés et des plus joyeux.