Le directeur du CCN de Créteil et du Val-de-Marne s’empare de l’un des deux plus gros monuments de la danse contemporaine pour en faire un film aux allures de clip urbain. Seize minutes évidemment qui débordent les genres, les lieux et les ongles !
Il y a Le Sacre du Printemps et Le Boléro. Les deux sont des monuments chorégraphiés des milliers de fois. Pire, ils sont comme des passages obligatoires pour les chorégraphes. Le Boléro de Ravel, ce sont deux thèmes, 16 mesures, et c’est tout. Pourtant, comme tout le monde le connaît, on perd parfois de vue que cet anti-virtuosité en fait justement un acte virtuose. Pour la danse, il est pour l’éternité associé à la danse endiablée de Jorge Donn pour Maurice Béjart sur son grand cercle rouge en 1979, citée de manière très Cult par Claude Lelouch dans Les Uns et les Autres en 1980. Comme dans le film de Lelouch, Mehdi Kerkouche filme rapidement au cœur de l’urbain. Le Do majeur s’élance sous les doigts agiles d’une clarinettiste en haut d’une bouche de métro. Un premier danseur passe par là, la regarde et descend rapidement les marches, saisi par le mouvement, plutôt frappé par lui. Les épaules choquent l’arrière, les genoux plient, la marche continue et les rencontres se font le long du trajet sur la ligne 8, direction Créteil, bien sûr.
Au fur et à mesure, les danseurs et danseuses se rassemblent, notamment dans un moment génial au centre de Créteil Soleil, dans une parodie de vidéo TikTok filmée au smartphone de manière sauvage. Là encore, la grammaire se fait vénère tout en se teintant de bras voguing. Le sol est martelé, les dos rebondissent. Chaque temps du Boléro est marqué. La musique sort, elle aussi, du cadre, elle s’augmente sans déborder de son temps, elle se pare de lignes mécaniques, elle disparait presque parfois.
On suit le groupe qui nous mène vers un vrai collectif, mais avant, la citation à Béjart est là, fine et percutante, dans un cercle entouré de carrés qui devient le Bolero au singulier, boucle obsédante et étourdissante.
Kerkouche s’amuse à décentrer le monument en déplaçant au cœur de la dalle la plus connue d’Île-de-France. Le sol est noir et blanc, fait de lignes cinétiques. Cela constitue le décor parfait pour un ballet en ligne en 2025. La caméra s’éclate à filmer cette danse vaste, où l’énergie est militante. Oui, les injonctions sont là, elles serrent le cou fort, il s’agit de les libérer en faisant exploser les bras dans des envolées puissantes.
BOLERO.S, ce film de Mehdi Kerkouche, dans lequel il ne danse (presque) pas, est à voir en ligne sur le site de France Télévisions.