Le château des rentiers est la lecture dansée Agnès Desarthe et Louise Hakim. Elle s’est déroulée à La maison de la poésie le 30 septembre 2023.
Rue du Château des Rentiers, Paris 13e, le 194 exactement, est plus qu’une adresse c’est là où s’est constituée une communauté singulière à laquelle appartenaient les grands-parents d’Agnès Desarthe. Ils en étaient même à l’initiative, ayant regroupé autour d’eux leurs amis d’enfance juifs d’Europe centrale dans une de ces tours modernes et sans attraits. L’appartement « acheté sur plan », vanté aux amis de toujours, a ainsi été le centre de ce qui s’est avéré être un phalanstère. C’est cette histoire, que Agnès Desarthe accompagnée de la danseuse Louise Hakim nous raconte dans la lecture dansée de son dernier roman Le Château des rentiers. De leurs vies qui est aussi la sienne, elle donne un récit vivant, drôle et tendre.
Sur la scène, 2 chaises de couleur rouge et 1 miroir. Sur une musique de jazz une danseuse évolue. Fine, légère, elle s’amuse avec le miroir l’installant comme un élément du récit. Regarder, faire face, se regarder, être à l’affut de traces … ? La voix douce et tranquille d’Agnès Desarthe vient nous sauver de ces interrogations. D’une phrase elle nous plonge dans le sujet qui nous rassemble. Des feuillets qu’elle tient dans les mains, les lieux et les personnages de son enfance apparaissent. Les femmes aux cheveux blancs aux reflets parfois violets, manteau d’astrakan sur les épaules et collier de perles au cou se dessinent sous nos yeux, et sa grand-mère, elle, aux cheveux blond vénitien. La description de cette communauté et de la vieillesse qui s’y est installée est sans concession. Agnès Desarthe décrit avec tendresse les défauts dus à l’age et les habitudes d’une autre époque. Et aussi cet oubli du temps qui passe lorsqu’on grandit et vieillit ensemble ; à travers les regards qu’ils échangeaient elle voyait qu’ils étaient éternellement jeunes en maillot de bain au bord de la mer noire. Le yiddish se glisse dans son récit et donne de l’éclat à son regard amusé, sans jugement, baigné d’amour. Elle concède qu’aller les voir etait « marrant ». Ils sont malgré tout une partie d’elle – même. Avec eux, elle flirte avec ses origines car ils venaient tous de la même région que certains appellent la Moldavie. Elle s’est crue Ukrainienne mais Posons-nous assez de questions sur nos origines. Quelques scènes font sourire comme une partie de cartes très typée, une critique sur le besoin de renouvellement des publics, les vieux et leur chaussons…
La forme « lecture dansée » de ce récit proposée à La maison de la poésie en accentue la tendresse et la profondeur. La danse déploie sa force d’abstraction autant que ses capacités d’illustration pour guider notre imaginaire. Les choix des musiques et des rythmes faits par la danseuse Louise Hakim en collaboration avec Léonard Desarthe organisent le temps et décident de la nature de la présence du corps face au texte. L’accordage délicat texte, corps, sons nous ouvre un ailleurs dans lequel le réalisme de l’observation de cette communauté, portée par l’auteur, devient poétique et nous conduit à réfléchir. Une forme de réflexivité s’installe entre le spectateur dans la salle et les présences sur scène à laquelle le miroir, objet scénique central, nous incite. Reflet, écran, trace, le temps qui passe, blessures et bonheurs du temps, le miroir porte en lui un ensemble de signes qui soulignent la densité du texte. La danseuse joue avec, brave le temps, se dédouble, devient intemporelle, elle porte en elle comme une mythologie des corps. La complicité entre elle et l’auteur est évidente une complicité subtile faite de tendre respect.
Le roman autant que sa lecture dansée pose la question du vieillissement et ravive la préoccupation souvent entendue du comment faire pour qu’avec l’âge il se passe encore des choses dans nos vies. Le choix de vie du 194 rue du château des rentiers offre cette possibilité du collectif et de la communauté chère à Charles Fourier inventeur du phalanstère et fait écho avec la résurgence actuelle de la notion d’habitats partagés. Cet ouvrage est aussi un livre de mémoire qui nous rappelle l’émigration d’une autre époque.
Visuel : © Couverture du livre