L’Opéra Grand Avignon accueillait en date unique le 15 décembre un double programme de l’excellent Ballet de Lorraine. Air-Condition de Petter Jacobsson et Thomas Caley et Static Shot de Maud Le Pladec. Deux pièces qui montrent la diversité de la notion de danse contemporaine.
Tout commence par une image qui restera. Une silhouette en négatif est retenue par un long fil, elle semble flotter. On le comprendra vite, elle gravite. Pour l’une de leurs dernières pièces en tant que directeurs du ballet, Petter Jacobsson et Thomas Caley choisissent de nous emmener en voyage autour de la Lune. Dans un geste post-moderne assumé, le ballet fait corps commun. Tous et toutes vêtu.e.s de tenues grises à l’esthétique seventies. L’écriture mélange les grandes grammaires de la danse américaine. Thomas Caley a été premier danseur de la Merce Cunningham Dance Company entre 1994 et 2000. L’héritage est direct.
Il est également autre. La pièce cherche à réinvestir les questions posées par Yves Klein en 1954. Nous sommes propulsés dans un monde qui rêvait de la conquête des étoiles.
Le ballet évolue en circonvolutions. Il roule en arrière, les danseurs se déplaçant comme des satellites pris dans leur attraction. La pièce, douce et lente, évolue avec élégance. Nous restons subjugués par des sauts de l’ange à la beauté absolue et par cette approche de la répétition bien menée.
La seconde pièce, Static Shot de Maud Le Pladec, nous ramène sur terre en 2023. Selon l’idée que pour être encore mieux ensemble, il vaut mieux cultiver ses diversités. La troupe n’est plus une, elle est 23 personnes. Toutes et tous habillé.e.s différemment. Jumpsuits à paillettes, bodys en résilles, tee-shirt pop… C’est une explosion. Static Shot, comme Air-Condition, cultive les répétitions. Ici, les roulades ont fait place à une marche presque militaire ou olympique, comme vous préférez ! (ndlr : Maud Le Pladec est la chorégraphe de la cérémonie d’ouverture, et c’est une bonne idée !).
La bande-son écrite par Pete Harden et Chloé Thévenin est techno. Le pas marque le tempo. Simple, basique, efficace. Maud Le Pladec convoque les esthétiques des dancefloors et/ou des défilés de mode pour en sortir leurs qualités de corps. Les pieds, les bras, les dos, tout martèle le son qui les traverse. Static Shot s’amuse des codes du cabaret également, avec une vraie séquence de cancan très déconstruite et une ronde à l’envers qui, elle aussi, fait circuler les planètes de nos perceptions. La pièce avait d’ailleurs fait l’ouverture remarquée du festival Paris l’été en plein air dans la cour carrée du Louvre.
Ainsi, le programme proposé par le Ballet de Lorraine pour l’Opéra Grand Avignon est de grande qualité. Il séduit tous les publics en leur montrant deux pièces ambitieuses qui, dans deux esthétiques complémentaires, permettent de faire travailler le ballet sur des lignes répétitives aux structures bientôt opposées. Dans la première, les dos se courbent, dans la seconde, c’est la nuque qui plie. Une fois encore, le Ballet de Lorraine prouve qu’il compte sur la scène chorégraphique, et bien au-delà des frontières françaises. Jusqu’à la Lune ?
Crédit photo : © Laurent Philippe