Depuis la Biennale de la danse de Lyon de 1994 – trente ans déjà -, depuis les Rencontres de danses urbaines de La Villette en 1996, Kader Attou tient le haut du pavé avec Accrorap, compagnie créée en 1989 par Éric Mézino, Chaouki Saïd, Lionel Frédoc, Mourad Merzouki et lui-même. Du pavé, du bitume et des planches de plateaux, en France et au-delà.
Prélude (2022), pièce « tout terrain » découverte fin novembre au théâtre-cinéma Jacques Prévert d’Aulnay peut être interprétée diversement. C’est d’abord une manière d’annoncer l’implantation de la compagnie historique de Kader Attou en région Sud. C’est probablement le présage d’un changement de ligne esthétique du chorégraphe. C’est, plus prosaïquement, le début de l’opus en fanfare ou plutôt en orchestre philharmonique avec les quatre notes (sol sol sol mi fa fa fa ré) et le tempo allègre (pompompompom) de l’ouverture de la Cinquième de Beethoven.
Pourquoi un San-Priod ne pourrait-il pas, comme l’avait fait le Marseillais Béjart avec la Neuvième, faire danser sa troupe sur du Beethoven ? Pourquoi ne pourrait-il pas, pour changer, écrire des pas de deux romantiques, pour ne pas dire classiques, comme jadis, un autre natif de la Canebière, Marius Petipa ? Après les premiers mots de l’introspection ou rétrospection au micro de Kader Attou, démarrent en trombe ses formidables interprètes : Antuf «Jikay» Hassani, Azdine Bouncer, Alexis de Saint Jean, Damien Bourletsis, Simon Hernandez, Aline Lopes, Yann Miettaux, Nabjibe Said, Margaux Senechault.
Une heure vingt durant, soutenus par la présence sur scène du chorégraphe et par la composition électro de Romain Dubois, sept gars et deux filles se dépensent sans compter et, quasiment, sans discontinuer dans une série de tableaux évoquant l’aventure personnelle de Kader Attou, cadet inattendu de son frère jumeau et, quelques années plus tard, artiste tout aussi surprenant, passé du hip-hop au cirque et du chapiteau aux salles de théâtre, à commencer par celui de Suresnes. Les séquences de ce Prélude se suivent sans se ressembler, alternant temps faibles et d’autres, bien plus forts. Les beaux éclairages de Cécile Giovansili-Vissière mettent en valeur les unes et les autres et permettent de se passer de déco.
Au lieu de se lancer, comme nombre de ses collègues, à la conquête de la danse dite « contemporaine », Attou a, depuis longtemps (cf. Petites Histoires.com, en 2008 ou Un break à Mozart, en 2016), par petites touches, rapproché sa démarche d’expressions académiques. Non seulement en illustrant la musique ancienne par des pas ou des passes de break, façon Montalvo-Hervieu ou, plus près de nous, Bintou Dembélé, mais en fusionnant habilement vocabulaires classique et hip-hop. Ici, le résultat est patent et épatant. Les prouesses acrobatiques de Yann Miettaux alternent avec le travail choral impeccable des autres interprètes. Attou innove, selon nous, avec les pas de deux inédits et lyriques où s’expriment brillamment Damien Bourletsis tantôt avec Aline Lopes, tantôt avec Margaux Senechault.
Visuel : Prélude © Compagnie Accrorap