Sous la direction de Sidi Larbi Cherkaoui depuis 2022, et avec deux pièces signées par le chorégraphe, le Ballet du Grand Théâtre de Genève est l’invité du Théâtre du Châtelet cette première quinzaine d’avril avec deux programmes : Ihsane de Cherkaoui d’une part, et, d’autre part, trois pièces de Cherkaoui, Barton et Eyal. Nous avons vu la première du deuxième programme ; un tour de force de plus de 2h30.
Après Ihsane donc, ballet où Cherkaoui met en lumière à la fois l’idéal de beauté que comporte ce titre et rend hommage à un jeune homme marocain victime d’un crime, c’est le fameux Boléro créé avec une scénographie de Marina Abramovic et les danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris qui ouvre la trilogie des pièces présentées ce 10 avril. Ravel est sur bande enregistrée et une cape noire ouvre sur une inondation de voiles et lumières blanches. Reflétés dans un grand miroir, les 12 danseurs et danseuses tournent comme des derviches sans jamais s’arrêter, pour faire un seul et unique corps d’arabesques pétries de lumière. C’est doux, lent, presque lancinant et en même temps c’est terriblement physique pour les artistes et cet onctueux orientalisme parasite merveilleusement celui – tout hispanique et en broderies – qui est dans l’ADN du blockbuster de la musique classique. Dix ans après, le Boléro de Cherkaoui et Jalet fait toujours son effet et n’a pas pris une ride.
Cette fois-ci c’est une pièce qui date de 2009 que les danseurs et danseuses du Ballet du Grand Théâtre nous invitent à découvrir, quelque chose de plus animal, nouveau monde et urbain, où les visages dansent dans des cagoules pour créer aussi des rondes et des paysages entrainants. Tout commence par un seul en scène assez maestro et qui flirte quasiment avec le breakdance et ce n’est que dans une deuxième partie que le groupe intervient, monochrome, mais jamais monocorde dans une ode à la vitalité qui se sent plus qu’elle ne se réfléchit. Un univers en équilibre sur une BO toute en contrastes, de Saint-Saëns à Moondog en passant par la guitare classique de Slava Grigoryan. Et qui constitue une proposition assez complémentaire des voiles et des finesses du Boléro de Cherkaoui.
Enfin, si les valeurs restent le noir et la transparence, le ton monte encore avec le bien nommé « Strong » de Sharon Eyal. Avec une musique électro assumée et créée ad hoc par Ori Lichtik, nous voici propulsés dans le Berghain du Berlin de la fin des années 2010 avec une pièce toute en verticalité où les costumes semblent sortir d’un défile de mode minimaliste de la période et où les jambes des danseurs et danseuses tricotent un groupe très ordonné, aux gestes très codés, duquel se détache toujours un corps impertinent. Il n’y a plus aucune rondeur, mais une longueur très physique (45 minutes) et une précision quasiment mécanique dans cette pièce simplement somptueuse.
Le public applaudit à tout rompre des danseurs et des danseuses qui ont livré une performance esthétique et physique tout à fait impressionnante.
Visuel : © Magali Dougados