Le festival Extension sauvage est un moment unique estival se déroulant en Bretagne en milieu rural. Il permet de vivre une expérience inédite de plusieurs parcours d’œuvres chorégraphiques dans le paysage. Vue comme un voyage sensoriel au cœur de la créativité artistique, sa 14e édition est prévue le week-end des 20-21-22 juin prochain dans les abords paysagés de Combourg (35) et d’un village proche, Bazouges-la-Pérouse, avec son château de la Ballue et son jardin labellisé remarquable. Latifa Laâbissi, directrice artistique et coprogrammatrice, déjà interviewée il y a un an dans ces colonnes, pour la précédente édition, nous en dit plus.
Le changement notoire cette année, c’est d’être passé d’une proposition sur deux week-ends de suite à un seul cette année. Cela est dû au contexte incertain quant aux perspectives budgétaires nationales concernant le spectacle vivant. Je construis à nouveau la programmation avec Fanny Virelizier, ma chargée de production basée à Bruxelles. Au moment de la boucler en décembre dernier, rien n’était sûr quant au renouvellement de nos soutiens publics. Des rumeurs de coupes budgétaires circulaient et nous manquions d’indicateurs.
La Région Bretagne nous a baissé de 5000 € et même si l’aide de la DRAC est en principe reconduite, celle du Département d’Ille-et-Vilaine pourrait être divisée par deux. À dix jours du début du festival, j’ignore toujours ce qui nous sera alloué. Ma compagnie Figure Projet, basée à Rennes et conventionnée par l’État, prenait 20% sur son budget de fonctionnement pour le soutien au festival. Avec l’incertitude qui règne, tout doit être revu à la baisse comme c’est le cas partout en France et je dois poursuivre une levée de fonds privés. C’est donc par prudence que nous avons réduit notre formule et renoncé à notre dyptique, mais j’espère que ce ne sera que ponctuel et que l’édition 2026 retrouvera sa programmation sur deux week-ends.
Le deuxième week-end met en effet l’accent sur le vivant du territoire et le lien entre danse et biodiversité. Je continue à m’appuyer sur ces collaborations locales, pertinentes et précieuses, fruit de rencontres et de fidélités mais cette année, elles ont concerné plutôt l’EAC (éducation artistique et culturelle). Le musicien Erwan Lherminier (qui avait proposé l’an dernier une visite musicale en forêt en faisant apprécier sons ambiants, oiseaux ou en faisant construire des instruments simples à fabriquer) a travaillé dans une école primaire pendant plusieurs semaines mais ce projet ne sera pas valorisé pendant le festival. Un chorégraphe de Rennes, Alexis Hédouin, a également été en résidence EAC cette année. Ancien danseur de Boris Charmatz et d’Olga Dukhovnaya, il a commencé à développer son propre travail et je pense le programmer l’an prochain comme artiste régional.
Le festival fait partie du Nos lieux communs (réseau de structures culturelles dédié à la création contemporaine et au spectacle vivant, avec des actions s’inscrivant dans des espaces naturels, des lieux atypiques et des jardins remarquables en France). Je suis très sollicité par les artistes. Si, dans nos premières éditions, nous avions affaire des artistes aguerris du in situ, presque tous les chorégraphes proposent à présent des projets en lien avec l’espace du paysage naturel. Une des principales raisons de ce phénomène vient de la crise sanitaire de la Covid-19 (qui a fermé les théâtres pendant de nombreux mois entre 2020 et 2022 mais autorisé des propositions d’artistes dans l’espace public, notamment grâce à l’initiative du ministère de la Culture intitulée « été culturel »).
Par ailleurs, j’enseigne beaucoup dans les écoles supérieures (comme e.x.e.r.c.e à Montpellier ou l’école de Nuremberg en Allemagne) et je rencontre de plus en plus d’anciens étudiants souhaitant s’installer à la campagne comme par exemple le chorégraphe Pol Pi qui vit aujourd’hui près de Toulouse. Je fais alliance avec de nombreux artistes, mais ce secteur rural est moins soutenu. Y travailler relève d’un engagement politique pour changer la société et notre relation à l’environnement.
L’état du monde aujourd’hui tel que les informations des médias nous le révèlent me donne le vertige, mais il y a tellement d’initiatives heureuses autour de moi (L.Laâbissi vit à Bazouges-la-Pérouse) comme le tiers-lieu La Bigottière, accueillant des familles monoparentales et proposant diverses formations comme le « savoir manger ». Nous ne sommes plus dans la dynamique des années 1970 où les initiatives de vie en communauté se faisaient en vase clos. Les habitants de mon environnement rural que je côtoie cherchent des points de convergence. Je travaille avec des associations locales et le travail de fourmi engagé depuis 14 ans a été payant : le public s’est étoffé tant sur Combourg où il n’existait quasiment pas que sur Bazouges et le château de la Ballue où il était auparavant surtout musical.
Dès l’après-midi du vendredi 20 juin, Olga Mathey et Pierre-Benjamin Nantel proposeront à Combourg Paysage Caviardé. (il s’agit d’un road-trip chorégraphique, une balade en minibus qui mêle narration, fiction et chorégraphie, vue comme une archive sensible de notre territoire). À partir de 17h, le public pourra se détendre en suivant divers ateliers : voguing, yoga, hoop dance…
Le 21, toujours à Combourg, Léa Vinette, une artiste qui était venue danser dans une ancienne édition pour la chorégraphe belge Louise Vanneste, proposera son solo Nox (nous avons évoqué cette artiste et ce solo dans ces colonnes dans notre article du 15.09.24). Il sera performé dans le jardin de l’hôtel du Château. Je tiens chaque année à proposer une artiste émergente. C’était Mackenzy Bergile l’an dernier, ce sera Léa cette année (basée à Nantes et Bruxelles, elle est artiste associée du Cndc d’Angers).
J’apprécie et connais bien l’espagnole Marta Izquierdo Muñoz, artiste ayant dansé pour Catherine Diverrès à Rennes. Elle sera en résidence pour 15 jours et proposera samedi 21 juin son duo Dioscures traitant de figures mythologiques (des Titans androgynes, loin d’une virilité monolithique, qui permettent une dissonance entre entre la figure et l’interprète et peuvent être lus comme un portrait décalé de la chorégraphe). Il comporte dans sa version d’origine de 2023 une scénographie et sera adapté pour le site.
La rencontre avec les artistes en direct dans une émission de Radio Univers est reportée à dimanche, car le centre-ville de Combourg sera pris le 21 par la fête de la musique. Notre fest-noz est par contre maintenu avec le trio Pao Bran et sera de la fête. Paysage Caviardé sera à nouveau proposé en fin d’après-midi.
L’après-midi du 22 se déroulera au château de la Ballue et verra se produire le duo Mirlitons, dansé et scandé par François Chaignaud et le beatboxeur Aymeric Hainaux. Ce battle physique et vocal, très ritualisé, sera intense (avec des corps masqués, martiaux, méconnaissables et cliquetants s’affrontant dans une saturation total des fréquences et des muscles, une thérapie par l’excès). François Chaignaud, danseur et chanteur qu’on ne présente plus, est déjà venu quatre fois au festival. Cela se passera dans le bois de bouleaux du château.
Par ailleurs, la propriétaire proposera des visites guidées du lieu, avec son jardin remarquable. Il sera aussi possible, dans un des salons, de regarder un montage vidéo réalisé en 2017 par le Cnd (centre national de la danse) qui a puisé dans ses collections : Danse traditionnelle contemporaine. (Ce document d’une heure et vingt minutes explore les relations nombreuses entre deux domaines apparemment étrangers l’un à l’autre, les danses traditionnelles et la danse contemporaine. Elles dialoguent beaucoup plus que l’on ne l’imagine. Dans les douze extraits présentés, on voyagera de 1936 – Katherine Dunham – à 1983 – Francine Lancelot -, des pièces entre autres de Maguy Marin, Christian Rizzo ou Joanne Leighton à celles de Via Katlehong et Simon Mayer en passant par le remontage du Sacre du printemps de Nijinsky par Dominique Brun).
Le week-end se conclura par une pièce joyeuse de Marco Berrettini, El Adaptador, duo mêlant le sérieux, ironie et comique. C’est une remise en question de la corrida mettant en scène des toreros au chômage, obligés de s’adapter puisque les associations luttant contre la souffrance animale exigent l’arrêt des corridas… (Ici, on honore la beauté de la corrida et la bravoure du matador tout en déplorant, de plus en plus, l’inévitable mort du taureau. Comment le matador vit-il avec ces critiques grandissantes ? Et que fera-t-il quand le carrousel de la corrida ne tournera plus ?).
En principe non. Mes créations et projets me mobilisent à 100%, mais je tiens à soutenir d’autres artistes. En ces temps de baisse des soutiens publics, il est essentiel de réagir et de créer des écosystèmes comme celui de mon territoire. Je dois dire que depuis peu, j’ai restauré chez moi une grange et vais en faire un espace de résidence. J’imagine pour janvier 2026 de travailler sur un projet intitulé Les Vagabondes, inspiré par le paysagiste et artiste Gilles Clément, qui m’est cher. Par « vagabondes », il parle de ces graines qui essaiment au gré du vent et se ressèment toutes seules. D’autres artistes font de même comme Loïc Touzé à Nantes avec son lieu Honolulu et Cécile Loyer à Vatan dans l’Indre avec La pratique.
Non, car j’estime qu’il y a d’autres lignes de force en milieu rural, territoire un peu délaissé et moins estampillé, sauf dans des initiatives portées par certains CDCN (centre de développement chorégraphique national) comme Danse à tous les étages en Bretagne ou Chorège en Normandie. Ces lieux existent et il convient de ne pas les mettre en concurrence. Nous avons plus que jamais besoin d’espaces de travail : le milieu rural en dispose, moins onéreux et souvent étonnants. Il s’agit de faire les choses autrement, ce qui sous-entend d’avoir des convictions et d’occuper la place qu’on a décidé de prendre.
La 14e édition d’Extension Sauvage se tiendra le week-end des 20-21-22 juin prochain dans les abords paysagés de Combourg (35)
Informations et réservations
Visuel : Marco Berrettini – El Adaptador – Hole Bologna – PIazza della Pace – 12.09.2024 – ©. Luca Ghedini, courtesy Xing