La transe en boucle de Géraldine Chollet à la Sélection Suisse

Il y a comme ça, dans la frénésie du festival qui a enfin retrouvé son rythme après avoir passé une semaine dans l’angoisse que le RN prenne le pouvoir, des spectacles hors du temps, hors de tout qui sont des expériences, qui, on le sait, vont longtemps traîner en vous. Géraldine Chollet est une chorégraphe suisse, elle enseigne le gaga, cette danse libre qui vient se nicher dans le ventre. Pour Ouverture, elle nous convoque dans le cloître de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon. Les fantômes bienveillants sont partout tout autour. Bientôt d’ailleurs, ils apparaîtront, sous une forme très réelle, tels des ombres bien vivantes. Mais avant de parler de l’au-delà, restons du côté des vivant.e.s. Ouverture est une pièce participative. Le procédé est très original. Nous, les spectacteurices, invité.e.s avec une grande douceur par Mélissa Guex, Éléonore Heiniger, Bast Hippocrate et David Zagari, nous marchons. Nous marchons en rond, selon un rythme choisi, sans nous arrêter pendant une heure.

Nous marchons les pieds dans l’herbe alors que les cigales commencent à se taire et que les hirondelles tentent de nous épargner quelques piqures de moustique. La lumière est rose sur les pierres médiévales, et au-dessus de nous le fort Saint-André fait briller son mur d’enceinte.

Les deux danseurs et les deux danseuses marchent avec nous, puis ils et elles vont poser des gestes. D’abord une épaule, qui marque le tempo vers le bas, vous savez, ce petit mouvement qu’on fait quand on entre sur la piste. Les quatre vont danser, ils vont marcher, parfois au même rythme, parfois non, parfois à contre-sens. Surtout, ils et elles se placent au centre du manège en mouvement perpétuel que nous formons et ils et elles glissent des pas dans des diagonales aux lignes flouent.

Les gestes empruntent autant aux pièces de groupes de Christian Rizzo qu’aux lignes d’Alessandro Sciarroni. On pense aussi pas mal à ces expériences immersives qui donnent une liberté totale au public. Par exemple Forêt d’Anne Teresa de Keersmaeker ou Dream, tiens, d’Alessandro Sciarroni encore. Les références sont contemporaines et pourtant, la danse ne l’est pas uniquement, elle est aussi funk et hip-hop. Les accélérations des danseurs et des danseuses viennent casser le rythme de notre cercle pour le meilleur. La grammaire de Géraldine Chollet est plurielle, on réalise qu’elle est avant tout gaga, sauf que, par nécessite, elle doit être précise et écrite, cela ajoute de l’exigence à la beauté de l’expérience pour réaliser ce qui est déjà un tube.

Dans sa construction parfaire, Ouverture commence par la douceur pour aller vers la douceur. C’est un trip esthétique et mystique. Le regard est sollicité de façon très neuve puisque ce n’est pas juste une déambulation classique, c’est une déambulation à huis clos. Ouverture se vit autant qu’il se voit. Brillant.