Cette année, le cultissime programme de la SACD au Festival d’Avignon se nomme Vive le sujet ! Tentatives. Pour son programme 1, il rassemble deux propositions très différentes : un ensemble (morceaux choisis) d’Anna Massoni et Le Siège de Mossoul – Une épopée contemporaine de Félix Jousserand.
Est-ce Ola ou Anna qui là, devant nous, se tient bon ? Il est impossible de les distinguer tant elles jouent les jumelles en jean gris, tee-shirt noir et queue de cheval. L’une d’elle est seule pour le moment. Elle est occupée à poser des gestes qui lui imposent de souvent se saisir de son corps. Elle est solide, en équilibre, profonde dans sa colonne vertébrale qui s’amuse à des lignes très précises. L’autre va apparaître et le duo se former. L’une au sol, l’autre en auscultation de ses membres. Les gestes se multiplient jusqu’à l’obsession, sans tisser d’autres liens les uns avec les autres que leur absolue nécessité à être. Elle continue comme ça à se décortiquer elle-même quand, tout d’un coup, comme par magie, elle se place dans le couloir que l’on devine derrière la fenêtre en fond de scène. Il faut comprendre que le jardin de la vierge du lycée Saint-Joseph est un lieu que le Sujet à vif investit depuis plus de vingt ans avec des noms un peu différents chaque année. C’est un lieu génial collé au flanc d’une église. Dans un coin, il y a une cloche et une petite vierge toute blanche. Il y a du lierre partout, un arbre en fond de scène et une porte-fenêtre, donc. On a tout vu dans ce lieu, mais jamais cette image-là, pourtant si évidente de beauté : une danseuse en mouvement qui se laisse voir au-delà du cadre avant de disparaître. L’une balaie le sol d’un plat du pied, une main sur les genoux, le corps à angle presque droit. Les gestes les plus simples deviennent hypnotiques. On se noie dans une torsion du bras qui part du poignet avant de lâcher un avant-bras fou. Jeux de mains, jeux dérisoires semblent nous dire les deux danseuses qui vous réservent un bon nombre de surprises, par exemple vous apprendre à fabriquer un talon aiguille avec un doigt et un talon… Ça non plus, on ne l’avait jamais vu.
La deuxième proposition est très différente de la première. C’est l’une des forces de ce programme qui crée des rencontres inédites entre des artistes qui n’ont jamais travaillé ensemble. Félix Jousserand est poète et slameur et il a entre autre publié Le Siège de Mossoul au Diable Vauvert en 2019. C’est ce poème en alexandrin qui est donc adapté pour ce Vive le sujet. Il invite le musicien Bruno Ducret. Mais tout commence par un témoignage sonore dont on ne connait pas la source. Il fait parler la guerre à la première personne : « La guerre a sa propre dynamique », « Je mets le frère contre le frère. » Puis la performance se met en marche, elle mélange une lecture avec un violoncelle très augmentée de choses et d’autres, une cuillère par exemple. Au fur et à mesure que les terroristes de Daesh combattent l’armée américaine, nous entrons dans le cœur de la ville en ruine. Les civils meurent par milliers, les soldats reculent, avancent. Ils traquent la tête pensante du réseau, Al-Baghdadi. Le récit pointe du doigt les méthodes des terroristes pour qui « tuer n’est pas suffisant » : une femme kamikaze dans un marché, le pillage de la tombe de Jonas. Félix dit : « La foi pour les uns, la terreur pour les autres. » Cela résonne fort, mais pas autant que le son qui devient la star de cette pièce. Les cordes prennent un son rocailleux, presque hard rock. Même si la pièce ne révolutionne pas le genre, elle fonctionne plutôt bien dans son aspect d’immersion auditive.
Visuel : © Christophe Raynaud de Lage
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