Ce vendredi 21 juin, (F)rioul(L) de Benjamin Dupé était annulé pour cause de houle à la fois maritime et sociale. C’est donc de façon totalement inattendue que nous avons eu la chance immense d’accéder à la répétition générale de Joie UltraLucide, le projet de Maryam Kaba, Marie Kock et en collaboration avec Pina Wood pour les femmes de la Maison des femmes de Marseille. Un choc, une rencontre, un cadeau !
Dans le hall Bauhaus du Ballet National Marseille, ça grouille d’ami.e.s, l’ambiance est à la solidarité. Quand on entre dans la salle, dès la première image, on oublie deux éléments : ce n’est pas une représentation et ce sont des amatrices. L’image est si léchée, si parfaite, qu’elle va nous hanter longtemps. Regardez : une femme en robe de soirée à sequins est assise de dos sur une table, au milieu de dizaines d’autres tables. La fête est finie, la musique est lointaine (démente bande son électro-composée pour l’occasion par Dj Pone, rien que ça !) ; il y a des petits chapeaux pointus partout dessus dessous. On le sent d’ici, le sol pègue. Elle fume, attend. Les autres la rejoignent. Une armée de 17 femmes, tous les âges, tous les corps, toutes les couleurs. Elles balaient. Elles balaient le sol après que les convives sont partis. Une fois toutes rassemblées, une fois tout bien rangé, elles peuvent enfin exister.
Sur scène avec elles, la danseuse et chorégraphe Maryam Kaba les accompagne et les guide avec quelques mots, quelques comptes. En réalité, elles se débrouillent très bien toutes seules. Elles savent désormais. Elles sont ensemble, ancrées comme on a jamais vu personne être ancré. Personne, plus personne ne les arrachera à leur vie. Elles avancent. Elles boxent, font glisser l’air, twerkent. Ensemble, toujours ensemble, même quand la structure de la pièce leur impose de se diviser en groupe. Par le corps, elles parlent encore plus que par la voix. Les textes qui nous parviennent ne sont jamais larmoyants ou littéraux, ils suggèrent. La beauté de Joie UltraLucide réside dans l’évidence de que ce que la danse peut faire sur un corps blessé : l’autoriser, lui redonner confiance, le remettre en marche.
L’autrice et journaliste Marie Kock nous glisse après le spectacle : « On avait envie de bosser avec des amatrices. Nous avons fait toutes sortes d’ateliers avec les femmes de la maison des femmes entre septembre et décembre, et en décembre, on a fixé le groupe. Le seul impératif était qu’elles soient disponibles pendant tout le projet. Elles ne se connaissaient pas. » Elle insiste : « Ce n’est pas de la thérapie, c’est de la création. »
Et effectivement, c’est de la création, belle et sensible. Aminata, Bruna, Manon, Solange, Gift, Myriam, Camille, Hélène, Christine, Rima, Natia, Florence, Élodie, Mélanie, Fatima-Zohra, Sabrina et Fifi bouffent la scène comme si leur vie en dépendait. Elles osent enfin dire, raconter, se montrer.
En interview, la directrice du festival de Marseille nous disait « Il n’y a pas plus réel que le spectacle vivant ». La preuve en actes.