L’été dernier – il y a donc fort fort longtemps – nous avions découvert la première étape de travail de Je badine avec l’amour (parce que tous les hommes sont si imparfaits et si affreux) de Sylvain Riéjou à la belle scène saint-denis, et depuis nous n’avions qu’une hâte, c’était de la voir enfin. La pièce, drôle, kitsch et intelligente, était finalement à l’affiche et en clôture du festival Everybody du Carreau du Temple.
Je badine avec l’amour (parce que tous les hommes sont si imparfaits et si affreux) est une comédie chorégraphique, où la voix est omniprésente, en direct et en lip-sync. Avec un humour fou et une immense intelligence, Sylvain Riéjou s’empare de son (notre aussi !) film culte, Dirty Dancing, pour raconter comment, adolescent, cela lui a fait prendre conscience de son homosexualité. Le 13 juillet, lors de la présentation du festival jeune public Playground, Sylvain Riéjou, le danseur, avait raconté comment un lycéen l’avait traité de « pédé » lors d’un spectacle dans l’établissement. Depuis, il essaie de comprendre et de transmettre son identité pour que d’autres adolescents puissent se reconnaître et se dire qu’ils ne sont pas seuls à préférer Johnny à Baby dans Dirty Dancing.
Accompagné de Julien Gallée-Ferré, Clémence Galliard et Émilie Cornillot, le quatuor, sous couvert de légèreté kitsch, délivre une histoire de la danse des années 1990 à aujourd’hui. Avec un ton désinvolte, il nous entraîne dans une parodie assumée d’un spectacle en train de se faire. Il campe le chorégraphe obsessionnel, torturé par son éthique. Son but ? Retrouver de la « sensualité » en pulvérisant les carcans patriarcaux des films d’amour.
Si la pièce était déjà délicieuse dans sa version de travail en plein air, elle est aujourd’hui totalement aboutie et tient son fil d’humour de bout en bout. Sous couvert d’esprit potache, l’intelligence est partout ici. On passe du classique à Cunningham, on cite Dubocq et les chansons de geste de Daniel Larrieu qui traduisent en mouvement les paroles des chansons comme « Nathalie » de Gilbert Bécaud. Clémence Galliard va, par exemple, pousser de ses bras pour le café quand Bécaud dit « Pouchkine ».
La pièce est un vrai tout public, accessible aux fans de danse comme aux néophytes. Pendant qu’on se marre, eux et elles dansent pour de bon, Le lac des cygnes comme du Bagouet. En filigrane, le récit des humiliations dans les ballets est pointé.
Je badine pose l’insoluble question d’un rapport amoureux sans soumission ni domination pour arriver à la conclusion que, plutôt que d’abolir ces codes, il faut s’en emparer. Cela se traduit par un lip-sync sur l’une des scènes culte de Dirty Dancing, ou, dans la version française, Bébé dit « Tu n’as pas besoin de courir le monde après ton destin comme un cheval sauvage ! ». Le quatuor le rejoue selon toutes les combinaisons de genre possible, et ça marche.
Ce soir, 14 février au Triangle à Rennes, 21h
Visuel : © Jef Rabillon