La Biennale présentait en première française la dernière création de la chorégraphe-performeuse belge. Dans un geste sans fin, résolument actuel, elle tisse la toile de notre époque, aux images saisissantes, servies par une troupe prête à en découdre.
Quiconque a découvert Miet Warlop en 2022 dans le refrain entêtant de One Song n’a pu l’oublier.
Dans une pure tragédie ambiance On achève bien les chevaux, elle poussait ses artistes à l’extrême, jouant de la musique en faisant de la gym et en chantant :
« Toc, toc, toc, qui est là ? / C’est ton chagrin passé / Impossible / Comme au bon vieux temps / Tu sais, le chagrin c’est un rocher / Dans ta tête / C’est dur, c’est âpre / C’est inexorable. »
Trois ans plus tard, elle a toujours l’épuisement en ligne de mire. Quand tout commence, nous découvrons deux interprètes aux mains de porcelaine, jouant face à face à se croiser et à se taper, comme des enfants dans la cour de l’école. Évidemment, cela se brise. Et ça, c’est la première image de ce spectacle qui va les empiler les unes après les autres dans un mix volontaire.
Le fil conducteur de INHALE DELIRIUM EXHALE, c’est le tissu. On l’a déjà beaucoup écrit ici : le textile est partout dans la danse contemporaine ces derniers temps, chez Darius Dolatyari-Dolatdoust comme chez Eszter Salamon. Chez Miet Warlop, il devient matière première d’un geste qui ne se contente pas de recouvrir mais qui étire, froisse, enroule, renverse. Ses bobines sont des cylindres immenses et ses étoffes traversent tout le plateau, débordant presque en haut des gradins mythiques du Théâtre National Populaire, fondé par Jean Vilar himself.
Les interprètes (Milan Schudel, Emiel Vandenberghe, Margarida Ramalhete, Lara Chedraoui, Mattis Clement, Elias Demuynck), après une image de grande soie bleue battue de l’intérieur, comme si des poings d’un mètre frappaient en son cœur, s’emparent de cette tonne d’étoffe. Ils les tirent, jambes écartées, genoux pliés, bras en tension. C’est sportif. Au fil des gestes, les images se tissent sans que nous puissions les anticiper. Miet va au bout de son mouvement, exploitant tous les signifiants possibles de ce qu’un textile peut produire. On verra des Afghanes enfermées sous des burqas, une migrante se noyer en Méditerranée. On entendra, en voyant ces masses informes s’accumuler, une critique muette du capitalisme et de l’ultra fast fashion.
Les interprètes font corps avec l’étoffe. Ils et elles s’en parent, l’enroulent à la chaîne, et dans le cas d’Emiel Vandenberghe, deviennent eux-mêmes bobine dans un pivot sur jambe tendue classique, transformé en acte performatif. On le verra également se métamorphoser en icône sexualisée dont seule la cheville est visible, fondant dans un aplat noir.
INHALE DELIRIUM EXHALE porte son projet dans son titre : inspirer, délirer, expirer. Le premier geste et le dernier — dont nous ne vous dirons rien — sont d’une cohérence implacable. Ils disent la fragilité des corps, leur disparition inéluctable. Entre ces deux souffles, Miet Warlop accumule avec un talent monstrueux des visions qui se gravent comme des empreintes textiles dans la mémoire.
Anyone who discovered Miet Warlop in 2022 with the haunting refrain of One Song could never forget it. In her latest piece, INHALE DELIRIUM EXHALE, fabric becomes both stage partner and narrative thread. Gigantic rolls of cloth are pulled, twisted, and transformed into images of migration, oppression, desire, and critique of fast fashion. Warlop pushes bodies and materials to exhaustion, weaving unforgettable images. The piece unravels and rethreads itself, leaving us with the imprint of fragile, vanishing bodies.
La pièce s’est donnée les 15 et 16 septembre à Lyon, elle sera à Paris dans le cadre du Festival d’automne du 29 septembre au 4 octobre à la Villette, et ensuite à MC2 de Grenoble les 14 et 15 octobre. Enfin, au festival Next, les 28 et 29 novembre au Phénix à Valenciennes.
La Biennale de la danse de Lyon se tient jusqu’au 28 septembre, à Lyon.
Visuel :