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« Idoménée » de Mozart dans la version de Sidi Larbi Cherkaoui à Genève

par Nicolas Villodre
23.02.2024

Alors que s’achèvent les carnavals de Rio ou de Bâle et que se tient celui de Nice, le Grand Théâtre de Genève programme l’opéra Idomeneo, re di Creta (Idoménée roi de Crète), précisément commandé à Mozart par l’électeur de Bavière pour être présenté  à Munich, à la Mi-Carême, en 1781. Deux siècles et demi plus tard, Sidi Larbi Cherkaoui emboîte le pas au chorégraphe Claudius Le Grand, signant et la danse et la mise en scène.

Une tragédie-ballet

Pour sa première création d’opéra au GTG, Sidi Larbi Cherkaoui a écrit la chorégraphie et dirigé les artistes sur le plateau. Tout naturellement – ou sur-naturellement, dix d’entre eux apparaissant, vêtus de blanc tels des spectres ou des Pierrot lunaires de pantomime -, l’œuvre s’ouvre par la pose au sol par les danseurs machinos des fils du canevas, de la trame ou du drame tandis que fait son entrée l’héroïne Ilia, apparue du diable Vauvert (= du fond du décor) pour – d’ores et déjà – dire au revoir avec son aria « Padre, germani, addio! ». Tout alors est léger, la brise océane et la danse des neuf interprètes du Grand théâtre et de la compagnie Eastman. Les mouvements sont moelleux, délicats, en parfaite synchronie avec la musique live, nette et précise, dirigée de main de maître par le chef Leonardo García Alarcón.

 

Bien sûr, tout se gâte par la suite, l’auteur du livret, l’abbé Giambattista Varesco ayant copié-collé celui, byzantin, surchargé de héros antiques et d’invraisemblables rebondissements, écrit en 1712 par Antoine Danchet pour la composition d’André Campra, texte qu’adorait, dit-on, l’épouse de l’électeur bavarois, Élisabeth-Auguste de Palatinat-Soulzbach. Le «trop de notes»qui a pu être reproché, d’après Milos Forman, à Amadeus, trouve son équivalent dans l’impression de «trop de mots» dans le livret de Varesco. Dans le programme d’Idoménée, Jean-Philippe Grosperrin indique que Mozart souhaitait «abréger la scène d’agnition entre le roi et son fils». Qu’il l’ait voulu ou non, le ratio récitatifs-arias penche, comme la plupart du temps dans l’opéra, en faveur des mots.

 

Un opéra cousu de fil rouge

Suivant l’axiome «Vers l’orient compliqué, je voguais avec des idées simples» Sidi Larbi Cherkaoui a été surtout sensible au thème du «roi qui refuse d’abdiquer, qui préfère conserver le pouvoir au risque de sacrifier son fils et de mettre en péril l’avenir des générations futures». Laissons aux spécialistes l’évaluation de l’apport mozartien en matière d’opera seria et notons la modernité de l’œuvre, ne serait-ce que dans le processus de fabrication de ce qui relève aussi du genre tragédie-ballet. Le musicien prodige œuvrait en «télétravail» – en «distantiel» -, c.à.d. par correspondance avec son père (sévère), son auteur, son décorateur et son chorégraphe. Dans la version de Cherkaoui, si nous n’avons pas été totalement convaincu par le flou et les froufrous des tenues néo-antiques, il n’en est pas de même de la scénographie de Chiharu Shiora, cousue de fil rouge, mise en valeur par les lumières de Michel Bauer qui évoque la mer (Rouge et Égée), la voilure de petits navires, la tempête voulue par Poséidon et rappelle par instants l’art cinétique de Soto, les épures géométriques et les symboles maçonniques du siècle des lumières.

 

La chorégraphie ne vise jamais à rivaliser avec la partition, parfaitement restituée par les chœurs du GTG, de la Cappella Mediterranea et l’Orchestre de chambre de Genève. La danse a une fonction d’appoint. Nous en avons apprécié la gestuelle fluide d’ensemble, les variations enveloppantes de la suivante du monarque et du hip-hopeur évoluant «en playback» sur la grosse voix de l’Oracle resté dans l’ombre (William Meinert).  Comme Mozart, comme Le Grand, Cherkaoui soigne les mouvements du chœur. Avec les tombés et montées de rideaux et les pluies de fils rouges, ces mouvements scandent l’écoulement jusqu’à son climax, la scène de terribilità conclusive. Nous ont touché les interprètes lyriques Bernard Richter dans le rôle-titre, Omar Mancini (Arbace). Et la prestation vocale et gestuelle toujours juste de Lea Desandre dans un rôle d’homme, celui d’Idamante : certainement la révélation de la soirée.

Visuel : Idoménée © Magali Dougados / Grand Théâtre de Genève