D’un solo, nommé Hadra, créé en 2017 pour Yassine Aboulakoul, Alexandre Roccoli a tiré un duo en invitant son frère Youness à partager la danse. Suite ou réécriture, Hadra : Youness/Yassine prend de l’ampleur tout en gardant ses fondements : une écriture qui s’appuie autant sur la relation possible entre danse contemporaine et tradition, et une intériorité des interprètes infaillible.
Les chaises disposées en cercle annoncent sinon le rituel, tout du moins un acte communautaire auquel les artistes ont visiblement le désir de nous associer. La pénombre dans laquelle nous nous installons invite au silence et créée une intimité entre nous tous présent.e.s à ce moment de partage. Cette situation hors du bruit du monde rend palpable nos respirations. Au centre de ce cercle, un danseur, éclairé faiblement d’une lumière rouge, semble s’éveiller à travers de micro mouvements saccadés qui parcourent son corps. Ce corps matière, lourd, présent là sous nos yeux, centré, ancré dans le sol, nous en impose… Le danseur parait mu par une force intérieure. Il laisse venir le mouvement et l’accepte. Ferveur, concentration, spiritualité, il nous guide vers un retour à soi inattendu et peut-être inespéré. Quelques déplacements sur le cercle puis une amorce de giration au centre est déjà un monde se construit.
Hadra veut dire littéralement « présence » et plus largement « présence divine », « énergie ». Et c’est bien cet aspect-là de la danse qui va nous happer sur la durée. L’entrée du frère dans une marche décidée réaffirme les thèmes annoncés cercle, mouvement intérieur et quête spirituelle. La relation entre Youness et Yassine se construit dans une connexion de rythme et de souffle, un jeu de claquement de main les réunit. L’accordage se fait progressivement, oscille entre conversation et méditation à la recherche d’une osmose. La force de chaque instant émerge de l’atmosphère qui se dégage de cette relation fraternelle qui porte l’ailleurs. La création musicale de Benoist Bouvot crée le décor.
Des pas traditionnels, croisés – ouverts – tournés, très simples, s’inscrivent sur le cercle, les vitesses varient, les pas se répètent et s’emballent. La forme de la danse et les rythmes traversés composent un millefeuille de sensations. On tente avec les interprètes l’expérience du tournoiement, on les suit dans le balancement du corps en avant tels des possédés. Sans être dans l’état de conscience modifié comme le propose la transe, un certain tournis s’installe. Les codes des cérémonies traditionnelles et des rituels auxquels fait référence le chorégraphe Alexandre Roccoli apparaissent dans cette méditation en mouvement et s’impriment comme la matrice d’un travail qui dépasse la mise en jeu d’un banal concept opportun.
Temps de latence, pas traditionnels, manière d’être ensembles, ces déclinaisons provoquent notre pensée et nous rappelle des écritures déjà traversées par d’autres chorégraphes ; le cercle rassembleur est également la marque du hip hop et la ronde la forme fondamentale de nos danses paysannes. On retrouve aussi la gestuelle contemporaine développée par les danseurs d’Afrique du Nord dont le mouvement se construit dans une confiance totale à l’énergie brute. Tout cet ensemble de codes et références qui montrent l’universalité de la danse, travaillés ici en référence aux rituels ancestraux des confréries gnaoua du Maroc, nous fait entrer dans une dimension qui échappe au commun et provoque des frissons corps et âme.
Hadra / Alexandre Roccoli from Manège, scène nationale – Reims on Vimeo.
Hadra : Youness/ Yassine
Chorégraphe : Alexandre Roccoli
Musique : Benoist Bouvot
Vu le 4 avril au festival Séquence Danse Paris
Visuel : © Séquence Danse Paris