« Grand Finale » : l’explosion chorégraphique et apocalyptique d’Hofesh Shechter

Show must go on

Si le navire coule, faisons voler les corps, semble avoir voulu dire cet immense chorégraphe né à Jérusalem en 1975, ayant dansé pour la Batsheva avant, en 2001, de poser son geste explosif sur les plateaux européens. La France l’a découvert en 2011 avec Political Mother, une déflagration rock ; depuis, il y a eu le délire baroque de Sun en 2013, puis Grand Finale est arrivé en 2017.

L’écriture de Shechter se caractérise par une danse rapide, faite d’éclats et de changements d’espace fulgurants. Le quinqua a été biberonné aux clips de MTV, et son geste s’apparente à des short-cuts. Pour cette version augmentée pour l’Opera-Ballet Vlaanderen à Gand, en Belgique, la troupe passe de 10 à 17 interprètes.  Cela donne une force suplémentaire aux halos nombreux qui mettent les danseureuses dans des postures de repli sur elles et eux-mêmes.

Dans Grand Finale, il y a des panneaux en mouvement et un orchestre qui continue de jouer quoi qu’il arrive, en mode : « Messieurs, ce fut un privilège de jouer avec vous ce soir », juste avant que le Titanic ne sombre. Au début donc, il y a un premier corps, bientôt rejoint par le collectif, toujours en péril chez Hofesh. Tous ensemble peut-être, mais jamais très longtemps : il y a toujours un·e ou plusieurs qui se figent sur place ou quittent la scène.

« dansez puisque nous sommes perdus »

Grand Finale est une explosion dans les amortis. Il y aura plus tard des scènes de groupe où, à la façon des juifs hassidiques parodiés dans Rabbi Jacob, les bras se lèveront au ciel, ponctués de mains ouvertes qui se balancent comme ces hommes en noir qui dansent jusqu’à l’ivresse. L’ivresse est là, bien sûr, dans les moments de fêtes pures, avec un speed infini dans des accélérations que l’on ne voit pas arriver. Grand Finale travaille la difficulté à gérer toutes les formes du manque. Il y a des morts par dizaines ici, traînés au sol et revenant à la vie comme des fantômes, des bras qui serrent très fort un amour absent. Il y a de la mélancolie à revendre dans des secondes immenses et basses qui vont faire virevolter dos et épaules pour les faire entrer dans le son de l’ensemble Hermès, qui joue à la fois classique et pop dans son errance, poursuivi par les besoins de la danse. L’idée est folle : l’ensemble musical est complètement nomade. La chorégraphie éclate les groupes dans une vision de bouquet final ou de banquet après un enterrement, à vous de choisir.

Ce groupe ressemble à une armée, et une nouvelle fois Hofesh Shechter fait la guerre. Il tue, fusille, transforme des amis en ennemis et, à la fin, les réunit, une fois devenus fantômes, dans un éclat de beauté où la danse devient balkanique puis orientale.

Les accélérations subjuguent toujours autant, tout comme ces explosions qui ne sont pas violentes : elles sont libres, généreuses, douces aussi. Lui qui a officié chez Wim Vandekeybus sait que pour atteindre un climax, il faut savoir en redescendre.

Dance me to the end of love

Peut-être que Grand Finale est la plus israélienne des pièces de l’artiste associé au Sadler’s Wells. Cette danse apocalyptique dit la vie dans un État d’urgence permanent, et la façon dont la course reprend le dessus sur l’inaction. Rage de dire, sueur au litre : tout dit l’urgence d’en finir. L’humanité est finie, les cadavres deviennent ici des poupées ou des partenaires de bal amorphes. La pièce, écrite en 2017, prend une intensité particulière quelques jours après le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas.

Désespéré, Grand Finale est une grenade entrouverte qui ne cesse d’exploser. Il n’y a aucune solution. Les danseur·euses peuvent danser à en crever, enserré·es entre les murs, dans une fête aux beats haletants. Ils et elles peuvent mettre la tête en arrière, soulever le torse et augmenter encore et encore la cadence : il n’y a aucune solution. La lumière sera au bout du tunnel ; la seule issue est la disparition, mais pas avant d’avoir fait l’expérience d’un baiser et d’un désir fou. Tout n’est peut-être pas complètement fichu.

Résumé en anglais

Hofesh Shechter’s Grand Finale (2017) returns in an expanded version for Ballet Vlaanderen, increasing the ensemble from 10 to 17 dancers. Known for explosive, rapid choreography and moments of apocalyptic beauty, Shechter’s work combines fragility, joy, and melancholy. Grand Finale explores the struggle with absence, mortality, and desire through a dance that is both intense and liberating. With a nomadic orchestra and surreal imagery, the piece conveys urgency, celebration, and a relentless push toward both destruction and fleeting human connection.

Samenvatting in het Vlaams

Grand Finale van Hofesh Shechter (2017) keert terug in een uitgebreide versie voor Ballet Vlaanderen, met een ensemble dat groeit van 10 naar 17 dansers. Shechter staat bekend om zijn explosieve, snelle choreografie en apocalyptische schoonheid. Grand Finale onderzoekt de strijd met afwezigheid, sterfelijkheid en verlangen door een dans die zowel intens als bevrijdend is. Met een nomadisch orkest en surrealistische beelden brengt het stuk urgentie, feest en een voortdurende zoektocht naar vernietiging en vluchtige menselijke verbinding.