Cette année, la Ménagerie de Verre fête ses 40 ans. Le programme mêle des spectacles vivants et des pièces de répertoire ayant marqué l’histoire des esthétiques. Philippe Quesne offre jusqu’au 21 septembre la chance de revoir Good Boy, la pièce fondatrice de l’œuvre d’Alain Buffard
Good Boy est le solo mythique du danseur et chorégraphe Alain Buffard. Il le donne pour la première fois en janvier 1998 à la Ménagerie. À ce moment-là, le choc est immédiat, ce que montre bien le film de Marie-Hélène Rebois, Good Boy, histoire d’un solo, projeté en continu avant et après le spectacle. Good Boy raconte un corps qui survit au sida. Le contexte de l’époque est sans appel. La maladie a particulièrement décimé le monde de la danse entre 1981 et 1996, date donc des premières trithérapies.
Alain Buffard est séropositif, mais grâce à l’AZT, il ne meurt pas, pas tout de suite. Il se pose alors la question de recommencer à danser, danser avec la maladie qui n’est plus toujours synonyme de mort. Alain Buffard meurt tout de même trop tôt, à 53 ans, du sida, c’est-à-dire 20 ans après tous les autres.
Good Boy porte en lui tous les morts du sida. En cela, la pièce est d’une mélancolie immense dès la première image, totalement culte. On y voit Christophe Ives nu, le visage caché par un bloc de barres de néon. Il se strappe le sexe puis enfile douze slips, onze blancs et un noir au milieu, comme un intrus.
Good Boy n’est pas une pièce virtuose, elle montre un corps-outil qui se désaxe, qui doit réapprendre à fonctionner par lui-même. Le danseur pose des gestes, il regarde ses chairs, ses articulations. Pour Buffard, c’est le moment de la remise en danse. Une fois convaincu qu’il allait vivre, du moins un peu, il est perdu, saisi par la culpabilité des survivants. Pourquoi lui ? Le film montre d’ailleurs que c’est Anna Halprin qui l’a remis (de façon brutale) au travail !
Le plus souvent dans le silence jusqu’à l’explosion de la chanson de Kevin Coyne qui donne son nom au spectacle, le parcours prend des allures de combat. Good Boy se concentre sur cette notion d’équilibre. Son impossibilité d’abord, en gisant qui bouge encore, puis sur les avant-bras au sol, comme le corbeau en yoga, et ensuite, dans un autre espace, plus près de nous, la verticalité qui s’obtient fragile, une boîte d’antiviraux accrochée au talon. Et si la force de vie surgit, elle tient dans un autre slip, rose cette fois qui s’enfile au milieu d’une salve de seize autres, plus tard.
Aujourd’hui, l’AZT apparaît comme un médicament d’un autre temps, les traitements se sont améliorés au point que toutes les organisations allant de l’OMS à l’ONU parlent d’une fin d’épidémie en 2030.
Good Boy est donc une archive passionnante, un marqueur clé dans l’histoire de la danse qui interroge le corps comme porteur de solutions en dehors de ses fonctions organiques et mécaniques.
Spectacle jusqu’au 21 septembre, à 20 heures à la Ménagerie de Verre et projection de Good Boy, histoire d’un solo de Marie-Hélène Rebois en continu, aux mêmes dates. Le festival Les Inaccoutumés se tient, lui, jusqu’au 16 décembre.
Visuel : © Ménagerie de verre