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GIANTS : Danser pour mieux se relever

par Angélina Zarader
03.02.2025

Carole Bordes est une chorégraphe et interprète de jazz danse contemporaine. Formée à la méthode Mattox par ses descendants et par Matt Mattox lui-même, elle a dansé au sein de l’Armstrong Jazz Ballet avant de fonder sa propre compagnie, Cie Émoi, en 2008. Sa nouvelle création, GIANTS, présentée le 31 janvier au Théâtre Berthelot, interroge le rapport entre l’individu et le collectif, la lutte et l’élévation à travers une danse puissante et viscérale.

Une immersion visuelle et sensorielle

La salle sombre dans la nuit, seul un point de lumière orangé se laisse entrevoir sur les rideaux satinés d’or et d’argent. Les corps se dessinent, les mouvements se laissent caresser des yeux, la veste pailletée du danseur transparaît : les géants sont là. 

 

Pendant quelques minutes, peut-être trop longues, les corps dansent à en perdre haleine, dans une parfaite synchronisation entre danse et musique. On croirait presque se voir le matin, entrer dans le métro bondé coûte que coûte, comme des animaux résignés allant à l’abattoir. Les gestes sont précis, puissants, puis s’essoufflent avec la musique qui ralentit et s’arrête pour laisser la part belle aux respirations des danseurs, qui remplacent les battements de cœur de la musique. 

 

La lumière s’accroît, ils se tiennent face au public, posent le décor, se présentent à nous, se laissent apprivoiser. Entre les danseurs, de la complicité, des échanges de regards, de sourires comme pour se dire de profiter de ce moment qu’ils ont tant attendu. 

 

« On est 8 milliards et il n’en restera qu’un » 

Cette phrase, avec ce qu’elle implique, est hurlée de rage, presque d’hystérie, par l’un des danseurs, celui-là même qui nous offre par ailleurs un solo au rythme intense et puissant, avec des pieds qui s’ancrent sur le sol à chaque note de piano qui s’accélère encore et toujours. 

 

Après la représentation, le public à l’occasion d’interroger Carole Bordes et ses danseurs. Le bord de scène prend l’allure d’une table ronde entre copains. À notre gauche, une petite fille s’élance pour parler et demande à Carole, « Pourquoi les danseurs disent-ils qu’un seul seulement va réussir ? ». La chorégraphe se laisse le temps de profiter de l’innocence du moment puis de répondre : « Cette phrase veut dire plein de choses, on est tous le seul sur huit milliards ». 

 

La pièce, jonchée de tableaux, de figures parfois maladroitement réalisées, s’inscrit dans une dynamique où la musique pousse le danseur à se relever, inlassablement. Arrivé au sommet, ou presque, il tombe, puis se relève, comme un cercle vicieux que rien ne peut contrer. 

 

Matt Mattox : une langue en mouvement

Pour Carole, Matt Mattox est un geste fondateur, qui devient un vocabulaire, comme une façon de parler : « C’est ma langue », affirme-t-elle. Elle prend plaisir à partager cette langue avec d’autres danseurs, avec le public et à voir comment Matt Mattox résonne et rassemble aujourd’hui encore.  Cette danse rime avec émotion, elle s’apparente à des corps qui exultent et à une puissante dimension libératoire. 

 

Les géants en lumière, les vulnérabilités en écho

Une attention particulière a été portée aux costumes, aux décors et à la mise scène. Les jeux de lumière apportent de la profondeur à la représentation et accentuent le message derrière toute cette explosion lancinante : comme on a tous un géant en nous, on a tous un petit qui parfois s’excuse d’être là. Toute cette force dans le jazz et dans cette danse permet justement de se relever quand on est à du ras du sol et d’aller chercher qui on est profondément.   

 

Tout l’enjeu de cette danse très frontale était précisément de parler de l’ensemble sans délaisser le « moi », l’individu, comment on est un groupe, une unité et en même temps une personne à part entière, avec sa singularité. Le lieu même dit l’infinité des possibilités : les géants sont placés au centre de la Terre, un endroit où tous les potentiels de feu, de métaux, d’or, d’argent, de cuivre peuvent se révéler. 

 

Lâcher-prise et quête de liberté

La pièce appelle également à un lâcher-prise de ce géant qui cherche toujours à monter plus haut, quitte à se perdre. Sur scène, on s’habille de paillettes pour mieux se déshabiller, se présenter à demi-nu au spectateur, pour retrouver la liberté d’être soi, de toutes les couleurs. 

Le festival Faits d’Hiver se poursuit jusqu’au 15 février

Informations et réservations

Visuel : © Affiche GIANTS