« From England with Love », Hofesh Shechter se cogne sur les frontières de sa danse
par Amélie Blaustein-Niddam07.01.2025
Depuis Political Mother (2012), le plus londonien des chorégraphes israéliens a imposé ses bras catapultés comme une signature forte. Au Théâtre de la Ville, il reprend From England with Love, dont il adapte l’écriture pour sa jeune troupe, la Shechter II. Malheureusement, la méthode Hofesh s’épuise dans une tentative de récit pop où le génie de sa danse reste en surface.
L’institution
La grammaire de Hofesh Shechter est limpide, bénéficiant même d’une reconnaissance institutionnelle depuis qu’elle est entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, tout particulièrement avec In Your Rooms et Uprising, deux pièces de jeunesse de l’artiste associé au Sadler’s Wells. Show, Sun ou encore Grande Finale, pour ne citer que ces trois-là, toutes les pièces de Hofesh sont des explosions. Mais, contrairement à d’autres, ces explosions ne sont pas violentes : elles sont libres, généreuses.
C’est dans cette démarche de liberté et de générosité qu’est née la jeune troupe Shechter II, une formation qui prend l’allure d’une compagnie composée de danseurs et danseuses âgé·e·s de 18 à 25 ans. Holly Brennan, Yun-Chi Mai, Eloy Cojal Mestre, Matthea Lára Pedersen, Piers Sanders, Rowan Van Sen, Gaetano Signorelli, Toon Theunissen : ce sont les élu·e·s, choisi·e·s parmi un millier de candidat·e·s. Rien que ça. Ces huit artistes forment désormais une nouvelle compagnie de danse, prêt·e·s à s’exposer au public. Et c’est ainsi que Hofesh leur transmet cette production créée au départ pour le Nederlands Dans Theater.
Le monde d’après
Tout commence à merveille. Nous voyons la troupe vêtue en étudiant·e·s britanniques : look Harry Potter, sac à dos bien tenu sur les épaules. Tout n’est que première position : les bras, les pieds, mais aussi l’allure du groupe. Les paumes sont tournées vers eux et elles, à la hauteur du nombril. Iels nous présentent une jolie première position bien sage, les bras arrondis, loin devant le corps. Puis un bras se détache et commence à faire doucement dissoner cet exercice bien connu des danseurs et danseuses classiques.
La musique est biblique : on entend Nimrod, la plus connue des Enigma Variations d’Edward Elgar. C’est triste et grandiloquent à la fois. L’image nous ramène immédiatement au Brexit. Que reste-t-il de l’Angleterre aujourd’hui, après l’Europe ?
Wait and see
La grammaire du chorégraphe arrive par touches : les bras se lèvent, les épaules ondulent avec une langueur et une lenteur qu’on lui connaît depuis LIGHT: Bach Dances. On attend l’explosion, et elle ne vient pas. Hofesh avance par touches, ne nous en donnant qu’un peu. Alors oui, les têtes balancent, les mains cherchent et montrent le ciel, convoquent, appellent. Les bassins sont décisionnaires et exigent des déroulés orientaux. Mais point d’accumulation : si l’air est foudroyé, cela ne se fait que pour montrer un peu, comme pour dire : « Ok, vous savez, je vous ai déjà montré ça. »
Il tente aussi de donner une lecture pop à cette chorégraphie, ce qui fonctionnait à merveille dans Contemporary Dance 2.0, où les références à Michael et Madonna prenaient leur place en roi et reine de leurs époques. Ici, on croise la petite marchande d’allumettes et Entretien avec un vampire, mais à ce moment-là, les gestes frisent le mime. La danse perd son axe.
Heureusement, Hofesh Shechter reste un grand, même quand il se répète, et seul lui sait à merveille offrir ce vrombissement d’énergie qui marque son écriture. Il y a des scènes de groupe où l’on retrouve enfin ces épaules qui se désaxent, les flexions qui sont des appels à élévation, les nuques qui entraînent le haut du dos presque jusqu’à la chute. Oui, il y a tout ça, mais cette danse, aussi ancrée dans le sol que propulsée dans les airs, aux vrilles et torsions normalement fulgurantes, n’arrive que de façon fractionnée.
Hofesh hésite entre classique et punk, et pour le coup, cela représente bien l’Angleterre d’aujourd’hui. Mais ici, son écriture se cogne à une volonté de récit qui dénote dans sa carrière.
Du 6 au 18 janvier au Théâtre de la Ville ( Abbesses)
Visuel :© Shechter II
