Le festival des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis commence aujourd’hui et se déroule jusqu’au 15 juin. De Bagnolet à Montreuil en passant par Les Lillas, vous irez partout et à toute heure voir de la danse engagée et politique. Sa directrice Frédérique Latu nous parle de cette édition.
Mon entrée professionnelle dans le secteur de la danse a coïncidé avec l’instauration de l’annualité du festival des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis. C’est rapidement devenu un festival de référence, je l’ai fréquenté régulièrement pour y découvrir des artistes et voir des premières de pièces que nous avions coproduites à L’échangeur – CDCN (où j’étais directrice déléguée aux côtés de Christophe Marquis). La programmation était audacieuse et la mixité des publics dans les salles réjouissante.
À mon arrivée en avril 2021, se posent différentes problématiques : comment réactualiser le festival des Rencontres tout en préservant leur héritage, comment les inclure dans un contexte culturel bouillonnant mais fragilisé par la récente pandémie ? Comment faire en sorte qu’elles continuent à être actives, vivantes, défricheuses tout en étant fortement ancrées sur le territoire, la Seine-Saint-Denis, en lien avec les partenaires et les habitant·e·s ? Nous nous sommes alors appuyé·e·s d’une part sur le travail réalisé par les équipes précédentes et l’ensemble des partenaires, d’autre part sur l’ambition première de donner à voir le renouvellement de la danse sous toutes ces formes, enfin sur la volonté forte d’ouvrir de nouveaux espaces de rencontres pour les publics. Avec ces objectifs en tête, nous avons choisi non seulement de consolider le festival historique qui a une place singulière dans le paysage national et international et d’initier d’autres temps festivaliers : Playground à l’automne pour les jeunes spectateur·rice·s et leur famille, les Extensions en début d’été pour présenter des spectacles gratuits dans l’espace public dans un rapport de proximité et de convivialité avec les habitant·e·s, sans oublier la saison BOOST dédiée aux danses urbaines, hip-hop et de club. Avec ces temps différenciés, les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis disposent de rendez-vous complémentaires et d’un maillage partenarial enrichi pour partager et soutenir la vitalité de la danse contemporaine. Avec une ligne artistique identifiée et sans compromis, ils offrent désormais plus de possibilités à la danse de circuler.
Dédié aux arts chorégraphiques étendus, le festival est attentif à la pluralité des formes, des formats, aux recherches actuelles, aux esthétiques hybrides et transdisciplinaires, en prise avec les préoccupations culturelles et sociétales. Je n’envisage pas la programmation à partir de thématiques préalablement définies. J’essaie davantage d’être réactive et inclusive à la manière dont les artistes s’emparent des enjeux qui traversent notre société et à la façon dont ils·elles les partagent. Leurs luttes, leurs revendications, leurs doutes, leurs fragilités, leurs espoirs résonnent dans notre quotidien et peuvent nous soutenir dans notre appréhension du monde. D’où l’indispensable nécessité d’une programmation internationale pour croiser les points de vue et les subjectivités ! C’est aussi une programmation militante qui questionne les normes, les préjugés, les assignations. Elle invite des artistes, émergent·e·s ou reconnu·e·s, à bousculer nos attendus, à nous proposer des pas de côtés, à nous surprendre, nous mettre en débat. Proposer des visions alternatives, voire dissonantes me semblent également urgent pour pallier une certaine homogénéisation de la pensée.
Parce qu’elle est perméable à ce qui nous entoure et ce que nous vivons, la programmation est traversée cette année par plusieurs sujets : la pensée décoloniale, l’affirmation des identités, le dépassement de la perte, la mise en lumière de pratiques invisibilisées, la pluralité des corps… Sans oublier la place accordée à la transmission et à la jeunesse, avec Juste Camille de Gaëlle Bourges et Drumming XXL d’Anne Teresa de Keersmaeker.
Drumming XXL est un projet exceptionnel à plus d’un titre. Il s’inscrit dans la tradition des projets monumentaux initiés par le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris depuis 2019. Cette version inédite réunit soixante-deux jeunes danseur·euse·s de l’École des Sables, institution mythique fondée au Sénégal par Germaine Acogny, de P.A.R.T.S., l’école fondée par Anne Teresa De Keersmaeker, et du CNSMDP. La présenter avec la MC93 et La Villette dans le cadre du festival sera un moment phare du festival 2024. Non seulement, nous mettons en lumière une pièce emblématique de l’histoire de la danse contemporaine, mais nous faisons le pont avec les futures générations. La danse est célébrée par cette jeunesse multiculturelle, avide de rencontres et d’expériences, qui révèle une grande générosité quand elle se livre au plateau et s’empare de la chorégraphie pour la revisiter.
Nous voulions une ouverture du festival à l’image des axes que nous défendons tout au long de l’année, c’est ainsi que nous avons imaginé un lancement en plusieurs étapes :
Le 13 mai > une introduction privilégiée pour les scolaires avec 2 représentations en après-midi, notamment pour des groupes avec qui nous menons des parcours chorégraphiques annuels.
Le 14 mai > une journée avec plusieurs propositions à partir de 14h30 pour traverser la pluralité de la création chorégraphique et soutenir l’engagement des artistes
Ce programme d’ouverture met ainsi à l’honneur la pluralité des formes et des formats en danse d’aujourd’hui, affirme la dimension internationale du festival et défends la liberté de création et le refus d’assignation portés par les artistes.
Le festival des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis porte l’itinérance dans son ADN. La multiplicité des partenaires est un atout incroyable car elle permet d’inviter des formes très différentes : des pièces avec 20 personnes au plateau comme Témoin de Saïdo Lehlouh à l’Espace Michel-Simon à Noisy-le-Grand, des pièces qui demandent une relation aux publics plus intimistes comme Matamatà de Bruno Freire aux Laboratoires d’Aubervilliers, des pièces qui sortent du rapport de frontalité comme Hopak d’Olga Dukhovna au Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France ou à La Dynamo de Banlieues Bleues à Pantin, des pièces qui peuvent circuler dans les établissements scolaires comme Histoire(s) Décoloniale(s) #Mulunesh de Betty Tchomanga ou des lieux non dédiés comme Save the last dance for me d’Alessandro Sciarroni dans un gymnase avec l’Espace 1789 à Saint-Ouen, etc. L’enjeu est de donner à voir des œuvres mais aussi de faire découvrir des espaces, parfois atypiques ou méconnus.
Cette dynamique est particulièrement inspirante pour imaginer la programmation. En effet, les choix se font systématiquement en dialogue, ils sont situés : quel spectacle pour quel lieu dans quel contexte avec quel partenaire ? C’est un défi constant qui se travaille en complicité avec les théâtres, les établissements, les collectivités. Parfois c’est une œuvre qui nous amène à trouver un lieu, parfois c’est l’inverse. La programmation n’est jamais pensée hors sol, toujours en relation avec le territoire. C’est passionnant et je remercie toutes les structures qui s’impliquent dans l’aventure des Rencontres et qui nous font confiance. Cette année, le festival est présent dans plus de trente lieux, repartis sur 16 villes, avec 35 équipes artistiques ! Ce principe de circulation contribue à donner plus de place à la danse, en interaction avec les enjeux des politiques publiques.
Chaque année, les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis s’engagent en coproduction auprès de plusieurs équipes artistiques qui seront diffusées lors des festivals. Ce soutien aux créations est personnalisé dans un processus d’accompagnement pour renforcer leur viabilité. Parce que de nombreux projets chorégraphiques ont des difficultés à réunir les ressources nécessaires, l’enjeu est de créer des communautés éphémères de soutien pour augmenter leur durabilité. Dans la même perspective, les Rencontres impulsent des résidences dans des lieux partenaires pour permettre aux équipes de chercher, répéter, finaliser les lumières… Ainsi cette année, plusieurs artistes présenté·e·s au festival ont bénéficié d’un soutien des Rencontres : Marc Lacourt, Gaëlle Bourges, Magda Kachouche, Solène Weinachter, Betty Tchomanga, Smaïl Kanouté, Julie Gouju, Olga Dukhovna, Feroz Sahoulamide, Loraine Dambermont et Emmanuel Eggermont. Soit un tiers des équipes artistiques programmées. J’en profite pour remercier plus spécifiquement La Chaufferie – Cie DCA, le Théâtre municipal Berthelot – Jean-Guerrin, le Théâtre Public de Montreuil – CDN, Le Colombier à Bagnolet, le Centre Culturel Houdremont à La Courneuve, la Ville de Pantin, Le Pavillon à Romainville, l’école Jules Vernes de Noisy-le-Grand et le Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France.
Plus encore, le festival des Rencontres se veut un festival de création où sont présentées de nombreuses premières et des pièces récentes pour donner à voir la vitalité du secteur chorégraphique au plus proche de son actualité. Cela implique que deux tiers des spectacles invités n’étaient pas finalisés au moment de leur programmation. C’est pour nous fondamental de s’engager en amont, d’être réactifs·ves aux besoins des compagnies, de faire confiance aux artistes ainsi qu’à la curiosité des publics.
Le festival des Rencontres propose une programmation de danse aux esthétiques plurielles, en phase avec le réel et le territoire de la Seine-Saint-Denis. Grâce aux partenaires financiers et aux subventions publiques, nous avons la chance d’avoir une très grande liberté de programmation pour répondre à l’ensemble de ces enjeux. Pour autant, la programmation d’un festival itinérant en Seine-Saint-Denis est comme un puzzle géant dont on n’aurait pas toutes les pièces au moment où on le commence. En effet, de nombreuses données rentrent dans l’équation : esthétiques, culturelles, géographiques, environnementales, techniques, calendaires, financières, partenariales, etc. C’est toujours très stimulant, mais parfois acrobatique. Réunir toutes les conditions pour que le festival prenne forme dans toutes ces dimensions est un travail de longue haleine qui mobilise de nombreuses équipes (du festival, des compagnies, des lieux, des partenaires financiers).
Par ailleurs, le contexte actuel est tendu pour de nombreuses structures culturelles. Que ce soient les incertitudes budgétaires, le manque de personnel, l’augmentation des coûts (inflation), les pressions diverses (politiques, administratives, concurrentielles, fréquentation publique…), les causes sont multiples et variables, elles peuvent être conjoncturelles ou structurelles. Ce climat général a des répercussions sur les modalités de coopération. Les freins se situent donc à plusieurs endroits. Il s’agit alors d’être inventifs·ves et de rester solidaires les un·e·s des autres. Je suis convaincue que le collectif permet de contourner ensemble ces empêchements.
Le festival se déroule sur tout le territoire de Seine-Saint-Denis jusqu’au 15 juin.
Visuel : ©D.R
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