La danseuse et chorégraphe néerlandaise présentait en clôture du Festival marseillais Actoral la dernière partie de sa trilogie. Une rencontre avec un FRANK qui semble avoir passé une vie à faire peur malgré lui. Il est temps de se parler, non ?
FRANK est donc la troisième partie d’un puzzle composé de JEZEBEL (2019) et DARKMATTER (2022). Elle y a inscrit des figures monstrueuses, issues autant des jeux vidéo que de séries telles que Stranger Things, sur les plateaux. Avec FRANK, elle passe à une forme collective réunissant quatre interprètes. Elle est sur scène en compagnie des brillant·e·s : Malick Cissé, Mulunesh Teshome et Omagbitse Omagbemi.
Nous voici dans un espace en tri-frontal. Histoire de nous mettre dans une position parfaite d’inconfort, une vidéo nous fait voyager de très près dans une bouche grande ouverte. À peine commencé·e·s, nous sommes déjà avalé·e·s par le monstre. FRANK comme Frankenstein, ou pas. Les interprètes nous le disent, en français et en anglais : « Frank n’existe pas. »
Qui est-il ? Une image de cauchemar, peut-être, qui ressemblerait à une armée d’ombres marchant le corps en oblique, vêtues d’armures en forme d’imperméables capuchés en vinyle noir. Ça pourrait ressembler à un défilé de mode, mais leur posture indique une forme de violence qui dépasse la simple envie d’être tendance.
Au fur et à mesure, la marche se tord, mais pas trop. Parfois un corps disparaît, il ne faut pas s’inquiéter, il finit par réapparaître. Nous, le public, sommes en position de voyeurs et de voyeuses, face à un aquarium ou à des animaux dans un zoo. L’espace de scène est totalement bâché, et au milieu pend une corde rouge. Pour se pendre, peut-être.
La pièce agit comme un manifeste contre le racisme systémique. Les visages se montrent désormais, plutôt fiers, même si ça fait de la peine, et même mal parfois, d’oser exister, jusqu’à en saigner. Pour de faux, mais quand même.
Les grimaces sont légion, autant que les accélérations des pas. Menzo multiplie les moonwalks sur place, ce qui rend les dos ondulatoires. Les artistes collapsent, parfois c’est trop. Trop de devoir, à nouveau, se battre juste pour exister.
Ces quatre-là nous regardent à travers le filtre, posent les pas de ce que les colons blancs nomment « la danse africaine », mais le krump n’est pas loin. Les figures de Menzo puisent plutôt dans un vocabulaire pop, même si les interprètes, et iels le montrent, ont une solidité technique impressionnante.
Par exemple, Malick Cissé, formé au CNDC d’Angers, nous subjugue dans ses accélérations qui hurlent : « que vous le vouliez ou non, nous allons survivre. »
Il y a des constructions d’images brillantes dans cette pièce, comme ce monstre visqueux à huit pattes que les interprètes, tous ensemble, forment en amas. Il y a un effondrement des oppressions, au point de concrètement les noyer.
FRANK est excessivement bien construit et montre, une nouvelle fois, à quel point Cherish Menzo est une artiste géniale, capable de transformer les corps en robots vivants, en créatures de frictions. Et puis FRANK s’avère être celui qui peut faire la paix, dans une approche qui passe de la crainte à la douceur.
De la douceur, voilà un mot qu’on ne pensait pas écrire au sujet d’une pièce de cette danseuse et chorégraphe merveilleuse, et pourtant.
On ne vous dira ni quand ni comment, mais FRANK finit bien, et semble nous murmurer : du passé faisons table rase, il faut reconstruire après les ruines.
Visuel : ©Bas de Brouwer