Quatre ans après sa création, Éric Minh Cuong Castaing, en compagnie de Marine Relinger et Aloun Marchal, présente à Montpellier Danse un spectacle qui met en scène Élise Argaud, une danseuse atteinte de Parkinson, et Kamel Messelleka, un boxeur qui a presque perdu l’usage de ses jambes. Une pièce qui déborde à tous points de vue, urgente, politique et, au passage, très belle.
Tout commence par un film projeté en grand écran où l’on voit les uppercuts s’enchaîner, puissants. La scène se passe en plein air, et étonnamment, le sportif a besoin d’attelles humaines pour avancer. On comprend que nous sommes ailleurs. Rapidement, un interprète valide entre en scène avec cet homme frêle. Il a une présence forte, immédiate, les jambes manquent, mais les bras restent. Soutenu par Aloun Marchal et Nans Pierson, il n’est plus un homme empêché. C’est un porté perpétuel qui peut aller jusqu’à des élévations et des retournements. Le public est placé tout autour d’un espace qui n’est pas là pour être limitant. Le boxeur va tracer sa route parmi nous, nous bousculant comme si nous étions un immense ring. Plus tard, un autre corps empêché surgit dans une extrême lenteur. Nous découvrons le corps raidi par la maladie de Parkinson d’Élise Argaud. Malgré ses jambes qui ne se déplient plus, malgré ses bras qui restent rigides, la danse est là, dans son âme, quelque part. Yumiko Funaya, en face à face, la met en confiance et lui permet, doucement, très doucement, de pouvoir un peu retrouver un pied qui décolle du sol.
Forme(s) de vie n’est pas une restitution d’atelier en Ehpad. Éric Minh Cuong Castaing, Marine Relinger et Aloun Marchal opposent l’idée de corps augmenté à celle du corps empêché. L’acte est une urgence politique superbement mise en danse. Aucun corps ne devrait être exclu de cet autre corps : le social. Ce que la pièce montre, c’est qu’avec un peu d’aide, un peu de solidarité — osons le mot — personne n’est bloqué. De façon superbe, la danse est concrète ; les danseurs et la danseuse sont justes dans leurs écoutes et leurs placements : cela provoque des dos qui plongent en eux-mêmes. Tout n’est que traduction du désir de l’autre, surtout entre les deux danseuses où l’on ne sait plus qui guide qui, au fur et à mesure que la confiance se solidifie.
Au-delà de ce geste superbe d’altérité, la pièce questionne la définition même de la danse. Est-ce qu’un mouvement qui ne peut pas exister par lui-même, sans un soutien, est moins valable ? Certainement pas : la preuve, les portés sont au cœur de la danse classique. C’est un projet qui se place dans le champ de la danse contact, c’est-à-dire de l’échange. Au-delà de l’idée — ici, on prêche des convaincu·e·s que la danse est un soin — la pièce est une création à visée artistique. Le but d’un spectacle est d’en sortir différent·e·s de la façon dont on y est entré·e·s. Forme(s) de vie redonne du toucher et du regard à celles et ceux qui en sont privé·e·s, dans un geste très bien construit qui allie l’image filmée aux corps de manière précise. Quand la caméra intervient, c’est toujours pour montrer ce qui n’est plus possible de voir, cela pose la question sensible et crucial de la présence de celles et ceux qui sont inamovibles, le film permet de résoudre cela. Montrer, en donnant à voir du sensible.