Depuis le 4 juin, et jusqu’au 8, la ville d’Uzès est devenue une « Maison Danse » — vous avez bien lu, pas une maison de la danse, non, une Maison Danse. C’est même le nom du Centre de Développement Chorégraphique National ; c’est aussi le nom du festival. Toute la ville est happée par la danse, au point même que des esprits s’évadent des peintures romantiques pour descendre des falaises afin de rejoindre la pinède.
Repérée et soutenue par la plateforme Danse Dense, Émilie Labédan est une danseuse et chorégraphe qui s’intéresse aux forces occultes. Avant Fictive, elle a présenté Mr. Splitfoot, un solo féminin qui convoque la figure de la médium issue du spiritisme occidental. Fictive est un duo pour To’a Serin Tuikalepa et elle-même. Le spectacle est pensé pour être joué uniquement en extérieur, en forêt spécifiquement. Il faut donc, pour voir la pièce, aller en forêt, cela paraît évident. Pour ce faire, le festival nous donne rendez-vous dans une salle à l’orée de la ville. De là, nous marchons pendant une dizaine de minutes sur un chemin qui se dégoudronne jusqu’à devenir un champ où les odeurs de menthe poivrée jaillissent sous nos pieds. On entend une cigale chanter faiblement ; l’été approche mais il n’est pas encore là.
Nous voici assis·e·s sur un gradin face à une prairie au bout de laquelle se trouvent des pins et d’autres arbres que nous ne savons pas nommer.
Et puis, il apparaît. Vous voyez cette peinture super célèbre : Le Voyageur contemplant une mer de nuages, de Caspar David Friedrich, en 1818. Cet homme-là qui contemple la mer de dos, eh bien, cet homme-là se tient devant nous, de dos. Il s’affaire très lentement à plier convenablement un grand pan de tissu noir.
Et puis le mouvement se pose. Il montre son visage, les yeux fous, tournés vers le haut. Il convoque de ses bras la figure d’un pendu, après qu’il est trop tard. Il se tord un peu, joue des diagonales avec ses côtes. Il avance, explore cet espace qui le possède. Entend-il les arbres lui parler ? Il danse l’hallucination avec lenteur et précision, dans une présence anguleuse aux coudes pliés. Il nous envoûte au point de s’évanouir pour laisser place à de la magie, à d’autres apparitions.
Émilie Labédan arrivera à nous comme un songe, dans un demi-cercle plié qui semble prendre racine dans un kazatchok vidé de ses origines.
L’allure du duo – elle est en haut dorée et jupe droite noire, et lui en costard noir – contraste avec la verdure. Il et elle paraissent avoir été éjecté·e·s de leurs peintures respectives, ou bien convoqué·e·s un peu trop fort par des médiums puissants.
Fictive extérieur jour est extrêmement abouti, et pourtant, il s’agit « que » d’une étape de travail somptueuse, révélant des images qui vous ensorcellent. Somptueusement élégant.
Festival La Maison Danse Uzès, du 4 au 8 juin 2025.
Photo : © Sandy Korzekwa