Inspirée par l’infinie liberté du théâtre Shakespearien confronté aux catastrophes naturelles qui menacent le monde actuel, la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker signe une nouvelle création libre et aventureuse, de loin l’une de ses plus délurées.
Pensée comme un hommage au musicien afro-américain Robert Johnson, la dernière création d’Anne Teresa De Keersmaeker, intitulée EXIT ABOVE, est teintée de blues nostalgiques mais aussi de couleurs musicales plus fiévreuses (type rap et techno). Elle se présente sur la scène de la FabricA à Avignon pleine d’une énergie bouillonnante, urgente, vitale et vibrante. Au sol, les cercles de couleurs entremêlés sont caractéristiques de l’écriture graphique de la chorégraphe et guident sa danse toujours tournoyante et multidirectionnelle. Manifeste d’un plaisir continu à faire cohabiter sur scène les présences de musiciens et de danseurs, la guitare de Carlos Garbin et la voix de Meskerem Mees ouvrent le bal et accompagnent tout en douceur l’entrée anti-spectaculaire des interprètes.
En groupe soudé et resserré, ceux-ci forment d’abord une communauté de naufragés menacés par une bâche de plastique qui virevoltante au-dessus de leurs têtes telle une immense vague qui les surplombe et pourrait presque les engloutir. A la faveur de marches, inévitable point de départ à la danse, puis de folles courses, de sauts répétés, le groupe se dissocie, se disperse, s’élance et saisit ainsi l’occasion de se libérer et de se laisser aller avec une franche et belle explosivité. Sans renier l’exigence qui est la sienne, Keersmaeker donne l’impression de délaisser ce qui parfois est apparue chez elle comme une forme d’austérité pour, cette fois, inhabituellement lâcher la bride et laisser sa pièce gagner le stade d’une sorte de transe jubilatoire.
Abigail Aleksander, Jean-Pierre Buré, Lav Crnčević, José Paulo Dos Santos, Rafa Galdino, Nina Godderis, Mariana Miranda, Ariadna Navarrete Valverde, Cintia Sebők, Jacob Storer et le très remarquable Solal Mariotte, s’il ne fallait en citer qu’un, sont onze jeunes danseurs à la présence scénique dingue. Leur audacieuse fantaisie et leur forte expressivité sont les atouts majeurs de cette proposition parmi les plus pop et théâtrales de Keersmaeker. Lorsqu’en ligne, ils jouent à toiser le public en prenant la pause et en grimaçant à outrance, lorsque, avec une poésie insolite, ils font entendre les bruissements calmes de la nature et le doux sifflement des oiseaux, enfin lorsqu’ils se désapent et se déchaînent dans la bourrasque d’un épais lâcher de fumée, ils électrisent vraiment la scène.