« En Pièce Jointe » : mécanique de la domination

Entre danse et théâtre

Dès les premières minutes, nous sommes désarçonné.e.s par la forme qui nous fait face : Mme Paravent (Armande Sanseverino) et son possible futur employeur (Gaël Germain) exécutent des mouvements saccadés et robotiques tandis qu’un dialogue impossible s’amorce, lors d’un entretien d’embauche. Leur langue bute contre leurs gestes mécaniques qui disent l’inhumain de l’entreprise qui réifie ses employés en utilisant une langue aux formulations sclérosantes et absurdes. En ce sens, l’énergie des deux interprètes nous accroche et met en lumière cet absurde qui est la condition de l’homme moderne. Qui doutait des pouvoirs du théâtre à réfléchir une image autre et juste de ce que nous vivons confusément ?

« Du mécanique plaqué sur du vivant »

Henri Bergson n’est pas loin. Le rire éclate à plusieurs reprises ; bien qu’En Pièce Jointe use d’ironie plus que d’humour. Ce qui nous est donné à voir est révoltant — Mme Paravent subira un harcèlement sexuel et moral de son futur employeur — et donne lieu à une création sonore (Mehdi Saleh-Alphaxone) glaçante allant jusqu’à provoquer un malaise tout au long de la représentation. L’énergie des deux interprètes nous accroche et met en lumière non seulement la détresse des femmes dans ce milieu où la domination masculine a toujours lieu mais encore leur nécessité de jouer à un jeu pour arriver dans un monde d’hommes : la séduction. Relisons-là Beauvoir et juste après Baudrillard (qui, lui, fait l’éloge de la séduction), pour réaliser à quel point cette prétendue arme féminine est une arme amère. La fin du spectacle laisse pourtant à penser que celui qui tient les rênes n’est lui non plus pas épargné par l’implacable non-sens du système…

La recherche d’une forme esthétique autre

Le travail sur le corps réalisé par Armande Sanseverino et Gaël Germain nous hypnotise par la précision et l’énergie qu’ils déploient. À les voir, l’on est frappés par la nécessité qu’ils ont dû éprouver, à savoir celle de créer une forme esthétique entre danse et théâtre (le mime aussi) non sans quelques accents cinématographiques (expressionniste). C’est que leur corps semble bien être travaillé, et même, torturé, par des motifs symétriques assimilés inconsciemment sous l’influence d’une routine entrepreneuriale où le rythme et la servitude imposés déforment, défigurent et caricaturent le réel. En Pièce Jointe nous en livre quelques traces… !

À voir donc !