Raimund Hoghe est mort. Il est mort le 14 mai 2021. Raimud Hoghe est mort, alors que faire pour le faire revenir un peu parmi les vivants qui le pleurent encore ? Danser encore bien sûr, au son de la voix des divas blessées et toujours acclamées par des standing ovations sonores. C’est ce que propose Emmanuel Eggermont avec son somptueux, beau et triste About Love and Death, élégie pour Raimund Hoghe qui a donc apporté de la lumière sur ce sombre 20 janvier 2025.
Le corps et l’écriture du danseur et chorégraphe Emmanuel Eggermont ont été fortement marqués par celui et celle de Raimund Hoghe, bossu, tordu, qui devenait un monument dans son costume iconique fait de petits talons, d’une jupe crayon mi-longue, d’une chemise et de lunettes noires. Le corps de Raimund était en lui-même un manifeste contre la danse des courbes. Le truc d’Emmanuel, c’est la ligne, la ligne qui, si elle se brise, le fait en angle droit, mais en gardant la souplesse et la légèreté de l’élégance. Il apparaît dans un cadre presque sobre, presque blanc. Nous sommes dans le blanc cassé et, en fond de scène, se tiennent des rideaux qui permettent bien sûr des apparitions et des disparitions.
L’un des premiers gestes qu’Emmanuel pose est de s’allonger sur scène entre deux petits pots de sable blanc, ce même sable que Raimund balançait en spray dans l’une de ses pièces. La ligne, toujours la ligne, et la danse, toujours la danse si propre à Emmanuel Eggermont, où le corps cherche toujours plus les carrés que les ronds. Ici, les poignets se cassent, les avant-bras se glissent l’un contre l’autre pour cacher le visage puis le laisser à découvert. En structure droite, la jambe s’étire façon cabaret, le pied atterrit loin de la hanche, glam à mort, oui, à mort.
Et toujours, il y avait dans les pièces de Raimund des déclarations d’amour aux divas mortes seules, si possible dans l’oubli. About Love and Death, élégie pour Raimund Hoghe, se compose comme une pièce à tableaux, sauf qu’elle n’en est absolument pas une. Il ne s’agit pas d’un récit à épisodes. Si chaque danse est reliée à une chanson ou à un film, par exemple Singin’ in the Rain ou des extraits de la voix de Joan Crawford dans Johnny Guitar, c’est pour nous faire ressentir et comprendre ce qui faisait l’essence de cette danse faite d’apparitions et de disparitions, où le plateau se traverse avec assurance et où, surtout, on pose des objets, on les dépose même, on les range bien pliés, et avant de partir, on oublie volontairement ses chaussures en bord de scène.
Ce qui est merveilleux ici, c’est déjà de voir Emmanuel danser pleinement. Dans All Over Nymphéas, il glissait avec brio sa danse des «carrés» dans les corps des autres. C’est un grand bonheur de le retrouver en solo, au meilleur de sa rythmique précise et de sa technique fluide. Ensuite, c’est d’assister à un spectacle qui n’est pas un mémorial, mais plutôt un hommage compréhensible par tous et toutes, y compris celles et ceux qui n’ont jamais vu les pièces de Raimund Hoghe.
Un bijou.
A voir le 21 janvier à 20h au Théâtre de la Cité Internationale
Le Festival Faits d’Hiver vient de commencer, toute la programmation est ici
Visuel ©Jihye Jung