El Botinière, les transformations de Selim Ben Safia à l’IMA

El Botinière, ce commerce n’ayant aucune existence visible le jour intriguait Selim ben Safia enfant. Situé en face de la maison de ses parents, ce lieu dont les lumières s’éteignaient le matin emballait son imaginaire. On y entre à minuit, on en sort le matin différent et épuisé.  Adolescent, il transforme en personnages les personnes qu’il voit passer la porte énigmatique et peu à peu cette vie nocturne invisible appelle en lui la danse, le théâtre, la musique. 

Son cabaret se transforme en création…  

Le cabaret fait partie de la vie tunisienne, son existence est très liée à la culture, à la fête, au besoin de vivre hors des codes culturels et des contraintes qui vont avec. Une vie le jour, une autre la nuit. Cet espace de liberté que Selim ben Safia pressentait entre les murs d’EL Botinière, il le réinvente pour nous en installant d’emblée sur le plateau une atmosphère. Pénombre, un corps au sol, duo, trio, attitudes abandonnées des hommes et des femmes l’image est simple et franche.  N’allons pas chercher la danse du côté de la prouesse technique ce n’est pas l’objet d’El Botinière, elle se joue dans l’interprétation parfaitement assumée par les 6 interprètes. Savoir se lâcher dans des attitudes lascives et se reprendre comme pour combattre, pousser un cri sans affectation et faire émerger la force des mouvements collectifs, leur engagement est sensible et irréprochable. Tous vêtus de costumes pantalon, leurs gestes portent la théâtralisation nécessaire à l’empathie.   

La liberté retrouvée

Dans cette atmosphère barbouillée peu à peu de fumée, les scènes vont se succéder, évocatrices de ce besoin d’échapper aux contraintes sociales. On se frôle, on se regarde, on se défie, et soudainement on se dépouille laissant apparaitre une identité de paillettes, de féminité presque outrancière, de volonté de vivre. La mise à nue dévoile sans retenue d’autres visages. Ce déshabillage provoque le plaisir, les corps font chœur et les bassins se mettent à pulser sur une musique répétitive entêtante. Une danseuse s’engage dans un solo ébouriffant. Une disco party s’installe inscrivant la joie comme moteur de ces soirées.   

L’écriture chorégraphique répond à la liberté qu’offre ces lieux de la vie nocturne. Les interprètes alternent des mouvements de groupes, des latences gestuelles, du ressenti…Une séquence où les danseurs formant une ligne comme les deux parties d’une hélice -homme d’un côté, femme de l’autre- tournent en se mélangeant, rappelle une danse traditionnelle, une grande diagonale dévale le plateau…     

La danse contemporaine tunisienne irriguée par les concepts d’une certaine danse française n’a rien perdu de ses tonalités d’origine. Narration et sentiments, matière même du désir de dire qui anime les artistes, en font une danse d’expression certes physique mais sachant dévoiler l’intensité d’émotions difficiles à étaler au quotidien. Dans cette société où les effusions amicales sont possibles, l’expression des sentiments est souvent bien ténue. El Botinière provoque et agit comme un révélateur.