Deux créations pour une même compagnie, au Théâtre de la Ville, deux visions de la danse qui s’opposent et se complètent : avec Autodance de Sharon Eyal et Vers un pays sage de Jean-Christophe Maillot, les Ballets de Monte-Carlo nous offrent une traversée temporelle captivante. D’un côté, une danse qui dépasse les codes contemporains pour nous toucher intensivement. De l’autre, une œuvre que l’on pourrait qualifier de vintage, un hommage, un héritage . Comme un tunnel dans le temps, ce programme nous fait voyager entre modernité extrême et une mémoire revisitée.
Sharon Eyal et son Autodance nous plongent dans un univers troublant où la danse devient une pulsation qui nous imprègne. Il est frappant de voir que parfois, en cherchant à être discrets, en marchant sur la pointe des pieds, on finit par captiver totalement. Et c’est exactement ce qui se passe dans cette pièce. Les quatorze danseurs apparaissent comme des créatures parfaites, précises, à l’image du langage chorégraphique de Sharon Eyal : fluide,précis et puissant.
Pendant quarante minutes, ils déambulent en catwalk, en parfait équilibre sur leurs pointes des pieds, avançant d’un pas unique, propre à leur univers. Ici, la féminité s’exprime avec puissance, tandis que la masculinité s’imprègne d’une grâce élégante. Tous ensemble, ils forment comme une fourmilière blanche, une entité mouvante, de loin elle parait toute petite mais elle est si forte, chaque individu est une perle unique, mais qui, assemblée aux autres, tisse une chaîne humaine, presque animale et impressionnante.
Le regard fixe, sans expression marquée, ils réalisent une danse où la répétition ne devient jamais lassante, mais au contraire, envoûtante. La musique d’Ori Lichtik, avec son rythme insistant et intense, paraît presque silencieuse et nous fait lâcher prise et nous entraîne dans un état rêveur. C’est un moment suspendu, où les pensées s’évadent, où l’inspiration et la beauté nous imprègnent.
La compagnie SED de Sharon Eyal et Gai Behar s’est installée en France et investit désormais les plus belles scènes parisiennes, de l’Opéra au Palais de Tokyo, où elle est en résidence, en passant par le Théâtre de la Ville. Leur style unique séduit tous les publics et réussir à assister à l’un de leurs spectacles, c’est souvent un coup de chance. Ne tardez pas au moment de l’ouverture de la billetterie si vous voulez être emportés par cette danse captivante.
Jean-Christophe Maillot, directeur des Ballets de Monte-Carlo, signe avec Vers un pays sage une œuvre de mémoire, un hommage à son père, artiste peintre. Créée il y a trente ans, cette pièce porte en elle l’histoire et l’héritage de son œuvre. Sur la musique entraînante et rythmée de l’Américain John Adams, douze danseurs se lancent dans une chorégraphie où duos et trios s’enchaînent avec expressivité.
Ici, les danseurs sourient, leurs corps transmettent une émotion et une histoire qu’on essaie de comprendre sans nécessiter de mots. Chaque mouvement semble venir de loin, traversant le temps pour nous parvenir avec une force intacte. Les couleurs, les jeux de lumière aux différent gobos aux spots et les effets scéniques créent une atmosphère presque nostalgique, rappelant les mises en scène des années 90. La palette de couleur se mêle à la toile de la dernière scène, une peinture d’avant. Ce contraste avec la première partie de la soirée rend cette deuxième œuvre d’autant plus intrigante : il ne s’agit pas seulement d’un ballet, mais d’un témoignage et ce style qui paraît presque rétro nous fait penser à un bijou vintage derrière lequel se cache une histoire qui veut être racontée à nouveau. Vers un pays sage demeure ainsi une pièce emblématique qui continue à toucher, trente ans après sa création, une œuvre de mémoire et d’héritage.
(c) Alice Blangero