Formé à Mudra International, sous la direction de Maurice Béjart, Hubert Petit – Phar danse dans des compagnies belges et hollandaises, puis rejoint le Dance Theater of Harlem où il sera interprète de 1988 à 1992 sous la direction d’Arthur Mitchell. De retour en France, il inscrit son travail du côté du jazz, mais choisit finalement le retour aux origines, la Guadeloupe où il est né pour créer la compagnie La Mangrove. Ce parcours sans frontières, riche en rencontres est un des marqueurs de ses recherches actuelles en témoigne CORPOS création réalisée en collaboration avec Augusto Soledad chorégraphe brésilien, portée par trois danseurs brésiliens -Sebastiao Abreu, Alex Lago, Hiago Ruan- et un danseur guadeloupéen — Mickaël Top- tous excellents.
Dans la pénombre, des corps s’effleurent, se cherchent, se jaugent. Les touchers sont délicats et les gestes mesurés. Tout est lenteur dans cet espace aux tonalités de gris. Le « peau à peau » s’impose avec douceur en déclinant autant la surprise que le plaisir, les corps à corps, audacieusement masculins, vont s’affirmer comme la trame du travail développé par les deux chorégraphes Hubert Petit – Phar et Augusto Soledade. Cette approche physique et sensuelle qu’ils ont choisi pour leur recherche nous entraine radicalement sur le chemin de la question de l’autre, corps sensible, expression d’une identité autant que d’une humanité à partager.
Diverses facettes de la rencontre vont occuper le plateau, que ce soit la bagarre, le défi, le jeu, la gaité d’un mouvement collectif. Chacun des quatre danseurs, enchainé à son identité, se bat avec lui-même pour sortir de son assignation et aller vers l’autre. Enfermé dans son histoire comme le souligne l’écriture de l’espace, chacun s’impose ou lâche, lutte ou accueille. On pénètre avec eux dans un univers sombre où l’on doit se définir pour exister et s’oublier pour s’ouvrir à l’autre.
La pièce se construit en séquences ; de solos, en duos, trios ou groupe, par touches successives, il s’agit d’apprendre à connaitre l’autre et l’appréhender dans sa différence. Accélération, arrêt, reprise, bras expressifs ou bustes engagés, chutes à partir d’un corpus de vocabulaire repérable, l’écriture partagée s’appuie sur les capacités techniques et expressives des interprètes. On reste en suspension face à certains duos, on exulte face au final vif et coloré signant la réconciliation, on aime les moments de transports émotionnels communs.
Ce thème pourrait nous sembler banal s’il n’était défendu par un groupe déterminé, l’utilisation parfaite de corps à la technique impeccable, l’indéniable qualité du mouvement ; on note un usage subtil du poids dans le mouvement qui redonne à chaque geste son intention. On regrette cependant certaines facilités comme des lenteurs excessives surlignant l’aspect émotionnel du geste, le recours au texte et à la parole bien fragile face à la présence forte des corps, et les touches d’humour pas toujours essentielles. Quelques faiblesses aussi comme l’interpellation du public.
Ce travail ambitieux réalisé lors d’ateliers de recherche entre Brésil et Guadeloupe manifeste le besoin d’échanger et de partager qui existe en tout artiste ; échange et partage avec le public que la compagnie La Mangrove suscite par ailleurs dans son ile en se produisant aussi bien à la scène nationale que dans des EHPAD ou dans les lycées, ainsi que dans les iles voisines et leurs Alliances françaises. Au-delà de cette dimension qui rappelle le rôle de l’art dans la société, cette création pose également la question du partage dans l’avènement d’une œuvre. Comment l’expression d’une pensée commune se concrétise dans une création. Juxtaposition, résonance, complémentarité des écritures ? Les chorégraphes de CORPOS revendiquent la confrontation au geste de l’autre qui enrichit. À suivre
Vu le 12 octobre 2024 – Scène nationale L’Artchipel – Basse terre, Guadeloupe.
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