Après deux années d’expérimentation à l’Opéra de Paris, le concours annuel de promotion est revenu à sa formule initiale. Tous les échelons de la hiérarchie (quadrille, coryphée, sujet, premières danseuses) étaient en jeu, seules les places de premiers danseurs n’étaient pas disputées : aucun poste n’étant vacant pour les garçons à ce niveau, le solide groupe des sujets masculins est resté sur le banc de touche.
La grande nouvelle : un passage contemporain est désormais inclus dans le programme imposé. Cela peut sembler anodin, mais c’est en réalité une petite révolution : les danseurs au profil contemporain peuvent enfin rivaliser à égalité avec les classiques pour une promotion. C’était jusqu’ici la principale pierre d’achoppement entre eux et la direction.
Ainsi, sur la même balance figuraient Body and Soul de Crystal Pite et La Belle au bois dormant version Rudolph Noureev, Signes de Carolyn Carlson et Giselle ou La Bayadère, Vaslaw de John Neumeier et Mazurka de Serge Lifar avec Sylvia de Manuel Legris. Lorsque le choix se présentait entre une chorégraphie de Noureev et une autre, les artistes optaient pour cette dernière — faut-il y voir un signe du temps ?
Les résultats du concours ont été justes : tous ceux pour qui leur niveau actuel était manifestement trop étroit ont accédé au rang supérieur. La talentueuse promotion de coryphées aux profils variés : le bondissant Shale Wagman, l’élégant et dansant Nathan Bisson, remarqué dans la création de Sharon Eyal la saison dernière. Et enfin, Loup Marcault-Derouard, la star rebelle du « groupe contemporain » de l’Opéra, a obtenu sa promotion dans un programme 100 % contemporain comprenant des œuvres de Pite et Kylián. Une première inédite.
Deux nouveaux sujets sont aussi impeccables : Enzo Saugar – avec son corps androgyne, ses rotations somptueuses (il a fait durer ses tours à l’infini dans la variation d’Aminta) et son saut fougueux avec le ballon. Il a usé de ces armes pendant sa variation libre de Raymonda. Keita Bellali – un danseur aussi solide techniquement qu’artistiquement. Son Vaslaw, signé John Neumeier, était remarquable : dansant, libre, poétique.
Chez les femmes, le concours de cette année a été marqué par le triomphe de Bianca Scudamore, favorite des balletomanes parisiens. Espérons que son nouveau statut de Première danseuse, pleinement mérité, apportera à cette ballerine rayonnante non seulement de nouveaux rôles, mais aussi une stabilité technique. La deuxième place est revenue à Clara Mousseigne : tout y est — le physique, le travail, la musicalité. Il ne lui reste plus qu’à s’épanouir pleinement sur scène. La nouvelle coryphée Yoon Lee ne compte pas non plus s’attarder au corps de ballet.
Parmi les non-promues, belle surprise réservée par Letizia Galloni – danseuse plutôt contemporaine, qui est même partie au Tanztheater Wuppertal, où elle s’est beaucoup forgée artistiquement (et un peu au niveau des mollets). Revenue à l’Opéra et dans la course hiérarchique avec deux magnifiques variations sur pointes : La Cigarette de Lifar en imposé et Other Dances de Robbins en choix libre. Et la petite Hortense Millet-Maurin progresse avec assurance et charme félin, dans les pas de sa mère, Étoile.
Une autre observation : le ballet de l’Opéra devient de plus en plus international ces dernières années. Et ceux pour qui Paris n’est pas un dû incarnent une force tranquille et une base classique solide que le jury et la direction semblent encourager.