Le directeur du Centre national de danse contemporaine à Angers est le plus philosophe des danseurs. Ses spectacles questionnent toujours les traces dessinées par les corps et leurs puissances intellectuelles. Nous avions adoré son Mouvement sur mouvement, solo décalé et drôle sur les Improvisation technologies de William Forsythe. Close Up se place dans la droite ligne, c’est le cas de le dire, de son étude de l’articulation entre les signifiants et les gestes.
Pour s’insérer dans l’entre-deux du mouvement, celui qui se niche entre son point de départ et son arrivée, Noé Soulier a choisi de composer un groupe quasiment à 100 % féminin. Sur scène, on trouve cinq danseuses (Julie Charbonnier, Yumiko Funaya, Nangaline Gomis, Mélisande Tonolo, Gal Zusmanovich) et un danseur (Samuel Planas), toustes en jean tee-shirt. Iels sont accompagné.e.s par les cinq musiciennes de l’ensemble Il Convito : Christine Busch en alternance avec Sophie Gent (violon), Claire Gratton (viole de gambe), Maude Gratton (clavecin), Amélie Michel (traverso) et Ageet Zweistra (violoncelle). Elles jouent notamment la célèbre fugue de Bach. La présence de la musique est posée comme une réminiscence. Elle n’est pas narrative, elle ne sert ni à accompagner la danse ni à l’incarner. Noé Soulier dépasse les réflexions d’Anne Teresa de Keersmaeker sur la danse mathématique et sur la fusion entre la musique et les corps. Lui, il ne dissocie pas, il se sert du quintette comme d’une lame de fond qui facilite la perception du point de suspension.
La danse est fulgurante. Son écriture très obsessionnelle est un délire sur les torsions, les appuis sur une jambe. Elle a comme point de départ les hanches qui sont au cœur de Close Up. Tout commence par le solo d’une danseuse qui rapidement glisse au sol en avant-scène, elle se relève, vrille, passe par un grand écart, rejoint une nouvelle fois le sol en imposant une ouverture de hanche immense. Elle sera vite rejointe par les cinq autres interprètes qui toustes vont épuiser cette collection de torsions suspendues. Noé Soulier cherche la beauté dans une ligne contrainte et il la trouve. Close Up, comme toutes les autres pièces de Noé, est très référencée, sans aucune forme de plagiat. Il maîtrise son Cunningham, son Forsythe et son Keersmaeker, c’est-à-dire que la chorégraphie est faite de lignes, de courbes inversées, de contre-temps ou encore d’appuis décalés. Il sait exactement comment rendre la géométrie sensible par le bout des orteils.
Le close up est un cadrage serré. Pour le traduire en danse, le chorégraphe utilise une caméra qui vient filmer les corps en 16/9. On voit alors les hanches (toujours) se mouvoir dans des demi-cercles presque orientaux. On voit surtout les jambes se multiplier dans des portés de pieds qui troublent le regard. Les entremêlements des corps sont comme un puzzle complexe. Il crée ainsi des carrés dans le rectangle, dans un culte de la ligne au service de la fluidité. Ces jeans très bien coupés de la marque Arket nous ont fait basculer dans les publicités Lee Cooper des années 1980, celle-là en particulier. Est-ce que le si smart Noé Soulier avait cette référence ? Pas sûr. Ce qui est sûr en revanche, c’est que la vidéo en direct est très peu utilisée de la sorte en danse, elle vient souvent apporter un décor. Là, elle zoome sur les corps. Une nouvelle fois, Soulier nous ordonne où regarder et cela fonctionne au millimètre.
Visuel : © Christophe Raynaud de Lage
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