CHORA, le souffle monumental de Rafaële Giovanola 

Sensations libres

Nous vous avons déjà parlé du travail de Rafaële Giovanola lors de son premier passage à Paris, en mai dernier, aux prestigieuses Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis. Il faut rappeler à quel point son nom est connu en Suisse et en Allemagne. Elle est à la tête de la compagnie CocoonDance à Bonn, qui est également un lieu, un théâtre où elle enseigne. Aucune de ses pièces ne ressemble jamais à la précédente. En éternelle curieuse, elle regarde le mouvement partout où il se trouve. Elle a notamment pu entrer, en 2022, dans l’« Iconic Kiki House of Juicy Couture » de Genève pour un dialogue dansé entre sa compagnie et cette maison. On l’a vue s’intéresser aux danses folkloriques, à la boxe… Bref, Rafaële Giovanola est infatigable. CHORA est dans cette veine. Sur scène, on croise – ça on peut le dire ! – Martina De Dominicis, Margaux Dorsaz, Álvaro Esteban, Clémentine Herveux, Marin Lemic, Bojana Mitrovic et Evandro Pedroni. Oui, nous les croisons. Nous sommes devenus un public très averti. Et pour cause, avant le spectacle, nous sommes conviés à un échauffement où Rafaële, avec toute la douceur et la bienveillance qui la caractérisent, nous transmet des points-clés de la pièce. Il est question de prendre possession de l’espace, d’avoir conscience de la place d’un autre devant ou loin de nous, ou encore d’apprendre à se détacher des éléments, humains ou inertes, sur lesquels nous nous appuyons. La pièce prend place dans un espace quasi vide, le seul élément de décor étant un petit podium placé au centre. 

Tempête profonde

Les danseurs et les danseuses s’emparent ainsi de l’espace alors que le public leur tourne autour, s’approche au plus près d’elles et d’eux. Et puis, sans crier gare, l’écriture de Rafaële se dévoile, celle d’une danse très profonde, aux dos droits, aux hanches étirées comme des arcs. On retrouve dans cette installation toutes les recherches actuelles en danse. On se souvient de Forêt d’Anne Teresa de Keersmaeker, de 900 Something Days Spent in the XXth Century de Némo Flouret, ou encore de Dream d’Alessandro Sciarroni. Chacun.e a recherché à faire dialoguer les corps du public et des artistes dans un même espace-temps. Et chacun.e a offert une version personnelle de cette recherche. Pour Rafaële Giovanola, la quête est animale, presque fantastique. Sa danse semble détacher les statues en ronde-bosse de leurs supports. Quand elle met les danseurs et les danseuses en meute, iels deviennent des papillons qui tournent autour de nous, nous ordonnant sans un mot, juste par leur course rapide en arrière, à rester debout, figé.es. Le point de vue est sans cesse fragmenté, il s’approche et s’éloigne, donnant à voir une marche où iels prennent appui les un.es sur les autres pour avancer. Ensemble, c’est mieux, toujours. Chaque interprète est solide et intense dans sa singularité propre. 

CHORA est une communion collective laïque, un manifeste pour le temps présent d’une modernité et d’une radicalité féroce.