Du 15 janvier au 9 février, le festival de danse Faits d’Hiver va faire bouger Paris au-delà de ses frontières. Christophe Martin, son directeur, nous dit tout sur cette vingt-sixième édition.
La première fois que nous avons accueilli Nach dans le festival, c’était comme interprète d’Heddy Maalem en 2014, dans Éloge du puissant royaume, pièce qui traitait du krump. Six ans plus tard, nous avons diffusé la création de son second solo Beloved shadows, dans une soirée partagée avec Leïla Ka qui, elle aussi, créait une nouvelle pièce, un duo avec Alexandre Fandard, C’est toi qu’on adore. Aujourd’hui, Nach reprend son solo fondateur, sept ans après la première. Elle représente une vivacité intelligente de la danse contemporaine, une ouverture esthétique franche et riche. Donc, oui, elle incarne bien Faits d’hiver dans sa vocation première d’être à l’écoute de l’actualité chorégraphique, témoin actif de l’intrication entre personnalités puissantes et univers signés. La danse contemporaine a besoin de figures exemplaires, de stars même, s’il elle veut continuer son développement.
Je dirais plutôt les fils conducteurs. On ne peut pas avoir une thématique unique lorsqu’on parle de plus de 45 représentations. En 2024, il y a des solos/duos et beaucoup de pièces de groupe, c’est-à-dire, pour moi, à partir du quintet. Nous présentons l’exceptionnel Bêtes de scène #3 de Jean-Christophe Bleton et ses 14 interprètes, mais je peux également citer Vénus Anatomique de Sarah Baltzinger (6), Blackout Dialogs d’Harris Gkekas (7), Grand Jeté de Silvia Gribaudi avec les jeunes interprètes de MM Contemporary Dance Company (11), Frérocité de Fabrice Ramalingom (7 + une quinzaine d’amateurs)…
Cette édition travaille le répertoire, c’est-à-dire la vie des œuvres : je pense à la reprise de Cellule, premier solo de Nach créé en 2017 ; à Cygn etc. Bien sûr, de et avec Pedro Pauwels qui nous fait un écho passionnant avec de grandes dames aujourd’hui disparues (Anne-Marie Reynaud, Odile Duboc, Françoise Dupuy, Wilfride Piollet) ; le programme Vignette(s), il aurait pu faire partie aussi de la première catégorie puisqu’ils sont huit, constitué de reprises : le solo de Bernado Montet Le soleil du nom et la pièce de Volmir Cordeiro L’œil, la bouche et le reste et de May B de Maguy Marin; je peux citer aussi la conférence dansée de Daniel Larrieu qui s’amuse à relancer par le hasard une carrière bien remplie ; c’est aussi la reprise du solo de Silvia Gribaudi R.OSA, créé lui aussi en 2017 et déjà diffusé en 2020 au Théâtre de la Ville.
Je pense bien sûr à des pièces qui ont à voir avec la danse et le handicap sous des formes diverses, comme dans chaque édition depuis au moins six ans. Pour moi, c’est une nécessité et cela fait écho au travail mené à Micadanses depuis près de quinze ans maintenant. Autre corps, autre regard, autres enjeux : même art. Encore le programme de Bernado mais aussi le duo de Tidiani N’Diaye à l’IVT et Nyst, de Mellina Boubetra. Mais aussi au Théâtre de la Bastille, une séance dite « douce », inclusive, avec un accueil adapté aux spectateurs en situation de handicap, deux pièces en audiodescription, deux pièces en LSF langue des signes française…
À noter, toujours déterminant pour moi, des chorégraphes qui s’attachent à la composition chorégraphique, ce n’est pas un gros mot : Anne-Sophie Lancelin, Laura Bachman, Harris Gkekas, Rebecca Journo, Sarah Baltzinger, Edmond Russo et Shlomi Tuizer et dans une catégorie adjacente, des jeunes femmes issues du hip-hop en tout cas proche de sa culture et qui s’en affranchissent sans se poser la question inutile du reniement : Leïla Ka, Jann Gallois, Mellina Boubetra, Nach. À noter aussi, le focus à un interprète, Sylvain Prunenec, au Carreau du Temple avec trois pièces. Et enfin, un zeste de sourire quand même, une manière de ne pas se prendre au sérieux et de jouer avec les codes du drôle : je pense bien évidemment à Gribaudi, à Bleton, mais aussi au retour dans le festival de Marco Berrettini, au regard de Pedro Pauwels dans sa nouvelle création sur Buster Keaton, mais aussi dans le détournement avec Clédat & Petitpierre. Bref, des pistes à parcourir qui se croisent et se répondent.
C’est assez surprenant de constater la durabilité de ce festival qui a débuté tout petit à L’étoile du nord puis au Théâtre du Lierre et s’est ensuite comme envolé pour collaborer avec des partenaires de diffusion, à une époque où le partage de programmation n’était pas vraiment ni à la mode ni nécessaire financièrement. Je pense que ce sont certains principes qui durent, qui ancrent la pérennité, et certains compagnonnages avec des artistes qui reviennent au bercail… comme Thomas Lebrun qui a été parrain l’an dernier de la 25e édition. Sinon, je crois à certaines fondations : la danse contemporaine est considérée comme une multitude d’esthétiques ou d’univers signés ; la chorégraphie constitue l’art de la danse, comme « écriture » cohérente d’une esthétique ; l’œuvre est le vecteur principal de réception et de compréhension du travail de création ; l’interprétation et le rôle des interprètes sont déterminants dans l’existence des créations ; la découverte de nouveaux talents s’associe à la fidélité, donc au soutien récurrent à certains chorégraphes ; la représentativité des âges comme des corps empêchés est nécessaire ; la danse contemporaine s’adresse au grand public comme n’importe quelle autre forme artistique. J’ai l’impression que c’est un programme politique !
J’aurais envie de répondre, je n’équilibre rien du tout ! En fait, tous les projets présentés dans Faits d’hiver font partie de l’actualité chorégraphique. Peu importe qu’ils soient portés par des vieux ou des jeunes, des peu connus et des reconnus, que la création soit dans le festival ou dix ans auparavant, car c’est la même envie de partager qui préside. Si nous accueillons beaucoup de créations de jeunes artistes, c’est parce que nous sommes en relation avec Micadanses et ses résidences, et avec des théâtres aussi qui n’ont pas peur de prendre des risques, qui écoutent leur désir de soutenir tel ou tel projet. Le répertoire n’a jamais empêché personne de créer. Et faire croire que la danse ne serait utile que par sa production de masse de créations est idiot, voire assassin. Plus une création aura de chance d’être diffusée, de vivre dans le temps, d’être reprise, recréée même, plus la danse sera vraiment reconnue.
En effet, un certain nombre de rendez-vous sont proposés à l’orée de la programmation, des bords plateaux, des conversations critiques avec le Syndicat Professionnel de la Critique, des podcasts avec Tous Danseurs. Ce n’est pas tant pour expliquer les œuvres au public qui sait très bien ce qu’il regarde. La danse contemporaine fait essentiellement confiance au spectateur, à sa capacité d’empathie, à son libre arbitre. Il s’agit plutôt de proposer un autre lien, une autre communication avec la danse, ses interprètes, le chorégraphe, de rendre ces métiers plus humains, plus proches, de commenter au sens noble. Pour moi, cela fait partie du développement de la culture chorégraphique.