Cadences d’enfer au Bassin d’Arcachon

Entre vents et marées

Présentées à huis clos ou en plein air, faisant fi du temps et de l’intempérie grâce à une équipe de bénévoles et d’intermittents du spectacle motivés par Kamel Mimoun, devant un public sensible aux mots d’esprit du maître de cérémonie Calixte de Nigremont, les pièces, de divers styles et formats, précédées de « levers de rideau»valorisant les élèves d’écoles de danse, les animations de rue comme l’incontournable barre font mouche à chaque édition. En peu de temps, nous avons pu assister à de jolies choses. À un extrait du duo Crocodile de Martin Harriague, par exemple, qui prend la forme de scènes d’un ménage à deux – d’une mégère et d’un méger – qui mettent du temps à s’apprivoiser, autrement dit à «conclure».

Ils finissent par se serrer la main à la romaine ou à la basque. Fraternellement et sororellement. En tout bien, tout honneur. Cela sur fond d’éléphantesques xylophones griffés Yamaha qui le font, musicalement et scénographiquement. Cet instrument prisé au Guatemala fut célébré par Julio Hernández Cordón dans son film Las Marimbas del infierno (2010). La compagnie Käfig a donné Mosaïk, des morceaux choisis dans l’œuvre de Mourad Merzouki, dansés par deux filles et trois garçons : un vétéran adepte du popping et du locking, une ballerine élancée, deux costauds du break et une subtile brunette douée en divers domaines – la révélation du jour au Théâtre de la mer. La compagnie montréalaise Le Patin libre a fait forte impression, soutenue par un musicien ayant customisé son violoncelle un peu comme Kasper T. Toeplitz. Le quatuor a substitué sans problème des roulettes alignées aux lames tranchantes des patins à glace. Il a fusionné allègrement disciplines sportive et artistique.

Mystère et boule de gomme

Tanzmainz est la compagnie de Mayence, ville célèbre pour son carnaval et pour Johannes Gutenberg, l’inventeur de l’imprimerie à caractères mobiles qui inaugure l’ère de la reproductibilité technique chère à Walter Benjamin. Ceci pour dire que nous avons eu l’impression qu’avec la pièce Mysterious Heart (2024) donnée en primeur à Cadences avant le TdV, Tânia Carvalho fait dans la parodie. la citation, l’imitation. Une sensation de déjà vu que confirment la gestuelle, les enchaînements, les ruptures de tons. Pas simple de faire nouveau et intéressant, pour reprendre le fameux slogan du magazine Actuel. Sans remonter à Bathing Beauty (1944), aux Ballets Trockadero (1974), à la Cie Montalvo-Hervieu (1988), aux Chicos Mambo (1994), on dira que la rencontre du burlesque et du baroque, du genré et du branché, les tics et le vocabulaire sont ceux de la danse en France d’il y a une dizaine d’années, avec des grimaces inspirées des gargouilles de cathédrale, des figures frénétiques évoquant la tarentelle, les symptômes hystériques de Charcot, la chorée chaotique de la danse de Saint-Guy.

Ce pour le contenu de la pièce. Formellement parlant, la chorégraphe semble avoir été plus sensible au cinéma d’horreur italien, le giallo d’un Mario Bava ou d’un Dario Argento, très deuxième degré – démarqué des chefs d’œuvre Nosferatu (1922) et Dracula (1931) – que du romantisme allemand d’un E.T.A. Hoffmann, l’auteur du premier «roman de mystère» (Mademoiselle de Scudéry) et de contes pour enfants devenus des ballets de répertoire (Casse-Noisette et Coppélia). L’éclairage contingenté (le clair-obscur dominant), les personnages griffus faisant écho aux anti-héros de BD et romans-photos transalpins Diabolik (1962) et Satanik (1965), les fumigènes à foison donnent une unité à la pièce. La performance époustouflante des onze interprètes de la troupe de Honne Dohrmann vaut à elle seule le déplacement.