« Blossom », le rituel hip hop de Sandrine Lescourant

« No more trouble »

La directrice du théâtre, Chloé Tournier, nous accueille. Elle rappelle que le secteur est mobilisé sous le hashtag #DeboutPourLaCulture. L’action est simple : à la fin de chaque représentation, partout en France, les artistes prennent un immense selfie avec le public, puis le postent sur tous les réseaux, anciens comme nouveaux. L’idée est de montrer que les salles sont pleines, à une condition : les subventions. Par exemple, hier soir, pour accéder à la représentation de Blossom de Sandrine Lescourant, les spectateur·ice·s ont payé des places allant de 0 à 20 €. Sans le soutien de l’État, le prix du billet aurait été en moyenne de 75 €. L’ambiance nous replace instinctivement dans les salles Covid et dans l’insulte qui taxait le monde de la culture de « non essentiel ».

Dans chaque territoire, le manque d’argent se traduit par une baisse du nombre de représentations ou de salarié·e·s. Le Vaucluse ne s’en sort pas si mal : la baisse de l’enveloppe départementale n’est « que » de 7 %, loin des 100 % de l’Hérault. Pour la Garance, cela représente 36 000 euros de moins, a minima, nous précise Chloé Tournier, sur l’année, qui, on le rappelle, est déjà bien entamée. Voilà, c’est comme ça qu’on entre en salle en ce moment : en conscience que ce que nous voyons n’est possible qu’avec un maillage serré d’aides interdépendantes. Blossom est l’exemple parfait de ce que le service public voulait dire, car en 2025, faire « ça » est impossible. On vous raconte.

« C’est quoi l’amour ? »

Blossom rassemble 26 interprètes, dont la grande majorité sont des amateur·ice·s qui ont travaillé deux week-ends avant la pièce avec la chorégraphe. Sandrine Lescourant vient du hip-hop et, depuis 2017, elle écrit sa danse avec une précision croissante. Pour vous mettre dans sa peau : son geste de base est celui du bord de la battle. Vous voyez ? Le cercle qui se forme autour du duo, quand les épaules et la tête marquent le tempo à s’en dévisser le cou ? Voilà, vous y êtes.

Sur scène, 26, c’est une meute, une tribu. Avec beaucoup d’intelligence, elle a écrit pour le groupe sans les mettre en difficulté. Tous et toutes dansent, mais pas tou·te·s la même chose. Les interprètes de la compagnie sont là, très visibles, en soutien au reste du groupe. Najoi Bel Hadj, Dafne Bianchi, Joël Brown, Cjm’s et Abraham Diallo déploient leur fluidité. Abraham Diallo, justement, est le premier à se montrer pour de bon : on le voit s’extraire d’une canopée de bras, il se glisse entre les corps et s’en délivre dans une profondeur de colonne vertébrale. Tous les cinq auront leur rôle à jouer, tissant un lien permanent et naturel entre la scène et la salle.

« Ce que j’ai de sacré, c’est l’amour de ton amour »

Blossom n’est pas un spectacle de danse au sens classique du terme. Sandrine Lescourant le définit comme « une pièce hybride à la croisée du spectacle, du concert et de la chorale. Blossom s’envisage comme un espace de rencontre ». Le groupe se divise et se rassemble dans des jets de bras, des rondes où l’on s’attrape d’abord par les épaules avant de se prendre la main pour enfin se placer en demi-cercle, toujours entraîné·e·s par une épaule. Tout comme chez Christian Ubl la veille, une batterie fait la star aussi.

Au fur et à mesure, la pièce glisse dans la joie pure, dans une énergie entre un concert gospel et une communion de boîte de nuit. Ils et elles dansent à fond, comme on le fait avec ses ami·e·s. Le résultat est impressionnant. Le groupe est cohérent dans une totale diversité, ils et elles gèrent la scène comme si elles et ils étaient né·e·s là. On le sait, dans le groupe, il y a d’anciens détenus, sauvés par la danse. C’est un engagement total entre le public et les artistes, une fusion qui se fait de façon évidente. On le sent depuis le début : nous finirons tous et toutes avec elles et eux à danser au rythme de That’s How the Good Lord Works.

Blossom est un flow hip-hop fait de vagues où l’émotion est construite comme un mantra. Blossom remet la danse et le chant dans leurs pulsions les plus viscérales. C’est un travail impressionnant qui rappelle, oui, que danser est essentiel, n’en déplaise à nos politiques.