Sur la scène de la Philharmonie de Paris, Abd al Malik, Blanca Li et David Grimal font le pari de reprendre Le Sacre du printemps pour en faire Notre Sacre à tous, un défi à moitié manqué sinon décevant…
Dès l’avant-propos du spectacle, le ton est donné. L’enjeu est d’appeler à la paix, de prôner la réconciliation entre les peuples et, à cette idée, répond le programme. En effet, Notre Sacre se divise en deux parties. La première alterne entre musiques classiques de compositeurs Hongrois, musique traditionnelle russe et compositions d’Abd al Malik, un mélange qui, dans le contexte actuel, peut froisser certain·e·s. Or l’art peut rassembler et c’est pour cela qu’il est ici utilisé. La première partie réconcilie et prépare le public à la deuxième, consacrée à son sacre, ou plutôt au Sacre du printemps de Stravinsky, interprété par l’orchestre Les Dissonances et accompagné par un ballet façon technique Graham signé Blanca Li.
Renouer les musiques, les influences et les cultures, telle est l’intention des trois artistes porteur·euse·s du projet. Cette volonté est belle et symbolique, mais finit assez vite par tourner en rond.
En effet, comprendre en profondeur les textes d’Abd al Malik entendus à la volée peut se révéler être un exercice complexe. C’est pourquoi, sur le moment, il n’en ressort que la superficialité de métaphores essoufflées autour de la paix et du printemps. Cette sensation de message forcé se retrouve aussi dans les créations lumières projetées sur la scène.
Lors de la brève introduction au violon de David Grimal, des bouquets et buissons se déploient sur le sol. Puis lorsque Abd al Malik et Bilal, frère et fidèle partenaire musical du slameur, entrent en scène, les fleurs se métamorphosent en mandalas de pointillés. Les dessins tournent et hypnotisent, ils captent l’attention et la détournent progressivement du slam. Puis à chaque coin de la salle, des danseur·euse·s entament des soli anguleux. Ils sont ombres et lumière, ils attirent le regard jusqu’à détourner totalement l’attention du texte du slameur. Souhaitant probablement donner l’illusion d’un rite, prévenant déjà le sacrifice qui aura lieu dans le Sacre du printemps, l’effet se veut chamanique.
Les artifices envahissent donc la salle, tous les moyens sont donnés pour créer une ambiance. Pourtant, ça ne prend pas.
Dans cette première partie, quelque chose ne fonctionne pas. Malgré la qualité des idées, la mise en œuvre et l’exécution artistique individuelle remarquable, le tout ne marche pas. Le tout, l’ensemble renvoie une image artificielle opaque à l’émotion et c’est bien dommage.
Lorsque le Sacre du Printemps commence, les artifices disparaissent, ne restent que les danseur·euse·s et leurs chaises, l’orchestre et la familière lumière jaune de la Philharmonie. Aligné·e·s sur le mince bord de scène, les danseur·euse·s sont feuillage avant de devenir communauté. Feux follets ou faunes sautillants, ils et elles traduisent littéralement la musique de l’Adoration de la Terre au Sacrifice.
Élève de Martha Graham, Blanca Li propose une chorégraphie où les angles sont décidément saillants. Sur scène, 18 danseur·euse·s saisissent le petit espace de jeu qui, finalement, semble les contenter. Le tout est très expressif, très fort.
Inspirée par les danses traditionnelles et populaires, la chorégraphe combine soli, petits groupes et passages synchronisés. Sur l’oeuvre puissante et toujours moderne de Stravinsky, les élèves issus du CFA Pietragalla-Derouault et CFA Danse Chant Comédie sont alors tantôt des personnages identifié·e·s, tantôt un chœur à l’unisson ; parfois animal, parfois végétal, le groupe se fond dans la musique.
L’orchestre Les Dissonances est quant à lui superbe. Les musicien·ne·s, à la capacité d’écoute reconnue, offrent un concert de grande qualité et font ressortir avec brio les fulgurances instrumentales du Sacre du Printemps qui avaient tant choquées le public des années 1910.
Pour les spectateur·ice·s de Notre Sacre de 2024, ce ne sont pas les huées qui ponctuent le concert mais bien les applaudissements à foison à la fin de la représentation, avec plus de la moitié de la salle debout.
Notre Sacre ne semble pas faire l’unanimité. L’idée est belle, les moyens coûteux, la prestation des artistes remarquables, mais le mariage forcé de ces ingrédients offre finalement un goût décevant.