En ouverture de la 20ᵉ Biennale de la danse et pour sa première direction, Tiago Guedes impose un geste fort, radical et pourtant populaire en invitant l’un des chefs de file de la danse répétitive, Christos Papadopoulos, à imposer son rythme, ou plutôt son flux au Ballet de Lyon. Brillant.
Juste avant le spectacle, toutes les structures politiques de l’État à la ville nous accueillent lors de prises de paroles qui répondent toutes à la coupe massive et récente que Laurent Wauquiez, absent remarqué, a imposé au festival – une coupe budgétaire sans précédent d’environ 300.00 euros. Le tout nouveau directeur de la Maison de la danse et de la Biennale de la danse peut être rassuré, les institutions sont dans leur grande majorité soutenantes. Cela est d’autant plus important que la Biennale se veut un miroir et un générateur de création. Le spectacle d’ouverture donne le ton. L’alliance entre un chorégraphe grec connu pour sa radicalité et les 20 danseur·euses du Ballet de Lyon nouvellement dirigé par Cédric Andrieux est rafraichissante.
Le mycélium est la partie des champignons que nous ne voyons pas. Un peu comme des racines interconnectées. Christos Papadopoulos transpose ces interactions aujourd’hui dans notre monde contemporain suffocant. Il fait évoluer le Ballet en utilisant les lumières du noir. Un magnifique rideau de soie en fond de scène ondule comme les vagues. Les costumes faits de tee-shirts noir irisé et de pantalons souples sont les mêmes pour tous les danseurs et toutes les danseuses.
La première image est, comme toutes celles qui suivront, hypnotique. Un danseur arrive. Il semble totalement flotter. Le geste est un pivot aux allures de moonwalk, le haut du corps fixe et les bras plus longs que jamais, paraissant flotter. Il va être rejoint progressivement par tout le corps de ballet. Le ballet est par définition un monde hiérarchique. La présence des chorégraphes contemporains vient toujours remettre de l’égalité dans la danse. Le Ballet de Lyon est coutumier de cette pratique, la prédécesseuse de Cédric Andrieux, Julie Guibert avait d’ailleurs invité Alessandro Sciarroni à transmettre son FOLK-S au Ballet. Ces actes sont très forts car les spectacles entrent ensuite au répertoire.
On ne peut que saluer la précision du geste qui ne vaut que s’il est absolument réalisé dans l’esprit de groupe, et cela même quand il est question de passer devant l’autre. Sur le fond, le respect et l’entraide, l’écoute et le regard planent sur la scène. Iels sont vingt et forment un bloc souple, qui peut se déplacer par lignes parfaites.
La pièce est un délire de précision. Le geste n’est pas techniquement compliqué, il entre en vous rapidement. Ce qui le rend éblouissant, c’est son évolution minimale qui rend chaque micro-action éblouissante. Une épaule se lève et se baisse et on retrouve les icônes de la pop culture, Madonna, Michael Jackson et puis, plus tard, quand les bras qui se balançaient avec fluidité deviennent plus raides, ce sont les années tectoniques qui refont surface. Au fur et à mesure qu’avance cette pièce à l’écriture et à la construction parfaite, alors que nos yeux s’étaient totalement habitués à fixer les bras métronomes qui opéraient sans faillir leur chemin, allant de droite à gauche, et retour, cette armée de la beauté vient couper l’air avec le dos. Les corps deviennent dans cet engagement fort des lombaires comme des feuilles sous-marines balayées par les courants. Le noir se pare d’un peu de doré, comme si le jour et la surface étaient redevenues intéressantes.
Mycélium nous envahit dans une progression millimétrée accompagnée de la techno progressive de Coti K. L’ensemble est un monument d’exigence et d’esthétisme. C’est une très belle pièce qui fait son entrée au répertoire du Ballet. En ouverture de la Biennale, quelques heures plus tôt, Tiago Guedes avait dit qu’il voulait que cette édition soit « inclusive et populaire ». Mycélium est complètement cela. La pièce est organique, elle vous envahit. Si vous êtes un gourmet de danse, vous verrez qu’elle tient fermement la route du point de vue grammaire et esthétique.
La Biennale de la danse de Lyon se tient jusqu’au 30 septembre 2023 dans les théâtres de Lyon et de la métropole, aux Usines Fagor.
Mycelium de Christos Papadopoulos sera ensuite à Paris, du 17 au 22 décembre 2024 au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt.
Visuel : ©Biennale de Lyon