Pour le Théâtre de la Ville, l’année 2024 commence bien : le célèbre ballet londonien Ballet Rambert est à l’honneur avec deux créations de Ben Duke, Goat et Cerberus. Du 14 au 20 février, la mort s’installe au Théâtre Sarah Bernhardt dans une soirée drôle et surprenante.
Tout commence avec Cerberus, qui raconte l’histoire d’un jeune homme dont la compagne Aishwarya est entraînée vers la mort, attirée comme la lumière au bout du tunnel. À l’instar d’Orphée et d’Eurydice, il tente de la ramener à la vie en la tirant avec une corde. Malheureusement, il échoue, et la voilà partie. Cette ouverture rappelle une anecdote de Ben Duke qui raconte que là d’où il vient, «pour le Nouvel An, on note sur des bouts de papiers des choses dont on veut se débarrasser […], et on met les papiers dans une boite qu’on fixe à la queue d’une chèvre, censée partir vers d’autres rivages » Dans les deux spectacles Cerberus et Goat – qui se traduit par chèvre, c’est bien l’animal qui fait le lien entre le monde des morts et des vivants. Ici, Aishwarya est fixée comme la boite à pensées afin d’être emportée vers un nouveau rivage : les Enfers de Cerbère. Dans Cerberus, la corde lie les danseurs et les emmène vers d’autres horizons par l’attache, le nœud. La métaphore est soulignée par la direction prise par la chorégraphie, qui rejoint en ligne droite les deux côtés de la scène. Dans Goat, c’est en portant un masque de chèvre que le danseur sera identifié comme sacrifié lors d’un rite spirituel et tribal. Assis au milieu de la salle, la chorégraphie dessine une ronde sacrificielle, dans laquelle les danseurs portent des tenues aux tons végétaux : marrons, ocre, beige et vert. Dans cette mise en scène, le masque cache l’identité du sacrifié pour la lui voler. Maintenant, il est entre les mains du groupe. La référence à la chèvre est principale, la thématique de la mort est centrale. Et pourtant, la soirée est bien loin d’être triste !
Cerberus et Goat sont des drames inspirés de la mythologie grecque, sans être des patos. Grâce à des univers surréalistes, les deux spectacles sont touchants en étant drôles. Dans Cerberus, le héros tente par tous les moyens de retrouver Aishwarya, quitte à s’adresser au public en espagnol et en anglais (au cas où !). Par la suite, Goat met en scène une scène de rituel ancestral dans un bar des années 1960 où l’équipe de tournage d’Arte décide de faire un reportage. L’anachronisme fonctionne très bien et nous fait oublier le caractère surréaliste du décor. On y croit tout de suite et on se fond dans la pièce. Ces décalages empêchent les narrations de nous noyer dans le chagrin. Drôle dans le texte, surréaliste dans la forme, le travail de Ben Duke n’en reste pas moins émouvant.
La soirée que propose le Théâtre Sarah Bernhardt est une opportunité de découvrir une troupe de renom : le Ballet Rambert. Un des plus anciens ballets britanniques, il fut créé en 1926 par la danseuse Marie Rambert. Le niveau est à la hauteur de l’ancienneté de l’institution. Les spectacles sont émouvants, car les danseurs sont bluffants. Les deux créations de Ben Duke mettent largement en lumière le talent des seize artistes qui composent le ballet. Les musiques géniales parcours la scène. Dans Cerberus, le simple fait de rentrer sur scène en marchant en ligne droite sur le rythme d’une musique électro et un fond rouge emporte la salle. Dans Goat, l’acoustique vibre et les voix emportent les spectateurs dans les chorégraphies parfaites de la troupe. On aurait envie que les pièces ne soient que musiques et danses. Les apartés théâtraux de Goat suspendaient le rythme sans être indispensables. Le niveau du Ballet est incroyable de précision, de légèreté, les corps semblent flotter, en maîtrise totale avec le sol. Les pas se mêlent à la beauté de l’acoustique, à la beauté du jazz, à la beauté des musiques. Quand les danses commencent, la salle est conquise.
En somme, la soirée du Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt est une excellente occasion de profiter du talent du Ballet Rambert. Le spectacle proposé est étonnant dans sa manière de commencer et de terminer. La mort, la chèvre et la boucle est bouclée.
© Daniel Shea
Avec 16 danseurs Adél Bálint, Aishwarya Raut, Alex Soulliere, Angélique Blasco, Hannah Hernandez, Antonello Sangirardi, Cali Hollister, Conor Kerrigan, Dylan Tedaldi, Jonathan Wade, Joseph Kudra, Max Day, Musa Motha, Naya Lovell, Simone Damberg-Würtz, Seren Williams
Cerberus
Costumes Eleanor Bull
Assistants chorégraphie Pip Duke & Winifred Burnet-Smith
Musique Moderat, ASMZ, Monteverdi
Goat
Décor Tom Rogers
Vidéo Will Duke
Assistante chorégraphie & nouvelle mise en scène Winifred Burnet-Smith
Arrangements musicaux Yshani Perinpanayagam
Musique Newley / Bricusse, MacDermot, François / Revaux / Anka, Dylan, Albert / Gaste
Chorégraphie Ben Duke
Lumière Jackie Shemesh
La production est aidée par Cockayne, Grants for the Arts et The London Community Foundation,
grâce au soutien des membres du Rambert Commissioning Circle.
Coproduction Ballet Rambert – Théâtre de la Ville-Paris.